si bruyant au depart, dit Savine qui ne manquait
jamais de placer une observation desagreable, vous etes devenu bien
morne, mon cher Naurouse.
--C'est que les grands bois sombres agissent un peu sur moi comme
les cathedrales, ils me portent au recueillement et au silence;
instinctivement je parle bas si j'ai a parler.
--Tiens, vous faites donc de la poesie, maintenant?
--Il y a des jours ou plutot des circonstances.
S'adossant dans son coin, il se croisa les bras et resta immobile,
silencieux, a demi tourne vers Corysandre qui l'avait regarde.
On arriva a Eberstein, qui est une habitation d'ete des ducs de Bade
liberalement ouverte aux visiteurs, et comme madame de Barizel ne
connaissait pas encore l'interieur du chateau, elle voulut le parcourir;
mais apres avoir visite deux ou trois salles, elle trouva que ces pieces
sombres, a l'ameublement gothique et aux fenetres fermees de vitraux de
couleurs, etaient trop fraiches pour Corysandre.
--J'ai peur que tu te refroidisses, dit-elle tendrement, va donc
m'attendre dans le jardin; ce ne sera pas une privation pour toi qui
n'aimes guere ces antiquailles.
--Si mademoiselle veut me permettre de l'accompagner, dit Roger.
Ils sortirent tandis que madame de Barizel continuait sa promenade avec
Savine et ils gagnerent une terrasse d'ou la vue s'etend librement sur
la vallee de la Murg et sur les montagnes qui l'entourent. Toujours
souriante, mais toujours muette, Corysandre parut prendre interet au
paysage qui s'etalait a ses pieds et que fermaient bientot de hautes
collines dont les sommets d'un noir violent ou d'un bleu indigo se
decoupaient nettement sur le ciel.
Apres quelques instants de contemplation silencieuse, Roger se tourna
vers elle:
--Est-il rien de plus doux, dit-il, que de laisser les yeux et la pensee
se perdre dans ces profondeurs sombres? Que de choses elles vous disent!
La vue qu'on embrasse de cette terrasse est vraiment admirable.
--Oui, cela est beau, tres beau.
--Je garderai de ce paysage, que j'avais deja vu plusieurs fois, mais
que je ne connaissais pas encore, un souvenir emu.
Il attacha les yeux sur elle et la regarda longuement; elle ne baissa
pas les siens, mais elle ne repondit rien, se laissant regarder sans
confusion.
A ce moment, madame de Barizel et Savine vinrent les rejoindre, et l'on
remonta en voiture pour descendre au village ou l'on devait diner, ce
qui faisait une assez longue course.
Savine avait command
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