ais Roger ne l'avait vu si franchement joyeux: il redressait la tete,
les epaules en bombant la poitrine, et autour de la caleche il marchait
de cote tout gonfle comme un paon qui se pavane.
En toute autre circonstance Naurouse, qui connaissait bien son Savine,
eut tres probablement devine ce qui causait cette joie debordante; mais,
ne pensant qu'a la jeune fille qu'il avait devant les yeux, il s'imagina
que ce qui transportait ainsi Savine etait le plaisir de faire une
promenade avec elle et cela l'attrista.
La caleche roulait sous l'ombrage des chenes des allees de Lichtenthal,
et madame de Barizel qui lui faisait vis-a-vis, l'interrogeait sur ses
voyages.
--Avait-il visite la Nouvelle-Orleans et le sud des Etats-Unis? Que
pensait-il du Mississipi?
Ce fut avec enthousiasme qu'il celebra la Nouvelle-Orleans, le
Mississipi, la Louisiane, la Floride, les Etats-Unis (du Sud bien
entendu), le ciel, la mer, le paysage, les arbres, les betes, les gens.
Mais malgre sa volonte de ne pas oublier que c'etait a madame de Barizel
qu'il s'adressait, il lui arriva plus d'une fois de s'apercevoir que
c'etait sur Corysandre qu'il tenait ses yeux attaches.
Quant a elle elle le regardait franchement, avec son beau sourire, la
bouche entr'ouverte, mais sans rien dire, bien qu'il fut question de
son pays natal. Quand Roger la prenait a temoin, elle se contentait
d'incliner la tete en accentuant son sourire.
Ils etaient en pleine foret, gravissant les pentes boisees d'une colline
par une route en zig zag qui de chaque cote etait bordee de grands
arbres, tantot des hetres monstrueux qui couvraient les mousses
veloutees de leurs enormes racines toutes bosselees de noeuds
entrelaces, tantot des pins qui s'elancaient droit vers le ciel,
eteignant la lumiere sous leurs branches superposees et leurs aiguilles
noires. Les lacets du chemin faisaient que tantot Corysandre etait
exposee en plein au soleil et que tantot, au contraire, elle passait
tout a coup dans l'ombre. C'etait pour Roger un emerveillement que ces
jeux de la lumiere sur ce visage souriant et c'etait une question qu'il
se posait sans la decider, de savoir ce qui lui seyait le mieux, la
pleine lumiere ou les caprices de l'ombre.
Il vint un moment ou il garda le silence et ou dans l'air epais et
chaud de la foret on n'entendit plus que le roulement de la voiture, le
craquement des harnais et le sabot des chevaux frappant les cailloux de
la route.
--Apres avoir ete
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