sence d'un ennemi invisible qui s'approche, fait
de la main un adieu brusque, s'eloigne sur les ailes de sa pudeur en
eveil, et disparait dans la foret. On le prend generalement pour un fou.
Un jour, quatre hommes masques, qui avaient recu des ordres, se jeterent
sur lui et le garrotterent solidement, de maniere qu'il ne put remuer
que les jambes. Le fouet abattit ses rudes lanieres sur son dos, et ils
lui dirent qu'il se dirigeat sans delai vers la route qui mene a
Bicetre. Il se mit a sourire en recevant les coups, et leur parla avec
tant de sentiment, d'intelligence sur beaucoup de sciences humaines
qu'il avait etudiees et qui montraient une grande instruction dans celui
qui n'avait pas encore franchi le seuil de la jeunesse, et sur les
destinees de l'humanite ou il devoila entiere la noblesse poetique de
son ame, que ses gardiens, epouvantes jusqu'au sang de l'action qu'ils
avaient commise, delierent ses membres brises, se trainerent a ses
genoux, en demandant un pardon qui fut accorde, et s'eloignerent, avec
les marques d'une veneration qui ne s'accorde pas ordinairement aux
hommes. Depuis cet evenement, dont on parla beaucoup, son secret fut
devine par chacun, mais on parait l'ignorer, pour ne pas augmenter ses
souffrances; et le gouvernement lui accorde une pension honorable, pour
lui faire oublier qu'un instant on voulut l'introduire par force, sans
verification prealable, dans un hospice d'alienes. Lui, il emploie la
moitie de son argent; le reste, il le donne aux pauvres. Quand il voit
un homme et une femme qui se promenent dans quelque allee de platanes,
il sent son corps se fendre en deux de bas en haut, et chaque partie
nouvelle aller etreindre un des promeneurs; mais, ce n'est qu'une
hallucination, et la raison ne tarde pas a reprendre son empire. C'est
pourquoi il ne mele sa presence, ni parmi les hommes, ni parmi les
femmes; car sa pudeur excessive, qui a pris jour dans cette idee qu'il
n'est qu'un monstre, l'empeche d'accorder sa sympathie brulante a qui
que ce soit. Il croirait se profaner, et il croirait profaner les
autres. Son orgueil lui repete cet axiome: "Que chacun reste dans sa
nature." Son orgueil, ai-je dit, parce qu'il craint qu'en joignant sa
vie a un homme ou a une femme, on ne lui reproche tot ou tard, comme une
faute enorme, la conformation de son organisation. Alors, il se retranche
dans son amour-propre, offense par cette supposition impie qui ne vient
que de lui, et il persevere a reste
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