s, parce qu'il est probable qu'il n'avait pas
garde l'usage de la raison, quand il mania le poignard a la lame quatre
fois triple, labourant de fond en comble les parois des visceres. Je le
plaignis, parce que, s'il n'etait pas fou, sa conduite honteuse devait
couver une haine bien grande contre ses semblables, pour s'acharner
ainsi sur les chairs et les arteres d'un enfant inoffensif, qui fut ma
fille. J'assistai a l'enterrement de ces decombres humains, avec une
resignation muette; et chaque jour, je viens prier sur une tombe."
A la fin de cette lecture, l'inconnu ne peut plus garder ses forces et
s'evanouit. Il reprend ses sens, et brule le manuscrit. Il avait oublie
ce souvenir de sa jeunesse, l'habitude emousse la memoire; et apres
vingt ans d'absence, il revenait dans ce pays fatal. Il n'achetera pas
de bouledogue!... Il ne conversera pas avec les bergers!... Il n'ira pas
dormir a l'ombre des platanes!... Les enfants la poursuivent a coups de
pierre, comme si c'etait un merle.
* * * * *
Tremdall a touche la main pour la derniere fois, a celui qui s'absente
volontairement, toujours fuyant devant lui, toujours l'image de l'homme
le poursuivant. Le juif errant se dit que, si le sceptre de la terre
appartenait a la race des crocodiles, il ne fuirait pas ainsi. Tremdall,
debout sur la vallee, a mis une main devant ses yeux, pour concentrer
les rayons solaires, et rendre sa vue plus percante, tandis que l'autre
palpe le sein de l'espace, avec le bras horizontal et immobile. Penche
en avant, statue de l'amitie, il regarde, avec des yeux mysterieux comme
la mer, grimper sur la pente de la cote, les guetres du voyageur, aide
de son baton ferre. La terre semble manquer a ses pieds, et quand meme
il le voudrait, il ne pourrait retenir ses larmes et ses sentiments:
"Il est loin; je vois sa silhouette cheminer sur un etroit sentier. Ou
s'en va-t-il, de ce pas pesant? Il ne le sait lui-meme ... Cependant, je
suis persuade que je ne dors pas; qu'est-ce qui s'approche, et va a la
rencontre de Maldoror? Comme il est grand, le dragon ... plus qu'un
chene! On dirait que ses ailes blanchatres, nouees par de fortes
attaches, ont des nerfs d'acier, tant elles fendent l'air avec aisance.
Son corps commence par un buste de tigre, et se termine par une longue
queue de serpent. Je n'etais pas habitue a voir ces choses. Qu'a-t-il
donc sur le front? J'y vois ecrit, dans une langue symbolique, un mot
que je
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