entre dans le corps d'un
pourceau, qu'il ne m'etait pas facile d'en sortir, et que je vautrais
mes poils dans les marecages les plus fangeux. Etait-ce comme une
recompense? Objet de mes voeux, je n'appartenais plus a l'humanite! Pour
moi, j'entendis l'interpretation ainsi, et j'en eprouvai une joie plus
que profonde. Cependant, je recherchais activement quel acte de vertu
j'avais accompli pour meriter, de la part de la Providence, cette
insigne faveur. Maintenant que j'ai repasse dans ma memoire les diverses
phases de cet aplatissement epouvantable contre le ventre du granit,
pendant lequel la maree, sans que je m'en apercusse, passa, deux fois,
sur ce melange irreductible de matiere morte et de chair vivante, il
n'est peut-etre pas sans utilite de proclamer que cette degradation
n'etait probablement qu'une punition, realisee sur moi par la justice
divine. Mais, qui connait ses besoins intimes ou la cause de ses joies
pestilentielles? La metamorphose ne parut jamais a mes yeux que comme le
haut et magnanime retentissement d'un bonheur parfait, que j'attendais
depuis longtemps. Il etait enfin venu, le jour ou je fus un pourceau!
J'essayais mes dents sur l'ecorce des arbres; mon groin, je le
contemplais avec delice. Il ne restait plus la moindre parcelle de
divinite: je sus elever mon ame jusqu'a l'excessive hauteur de cette
volupte ineffable. Ecoutez-moi donc, et ne rougissez pas, inepuisables
caricatures du beau, qui prenez au serieux le braiement risible de votre
ame, souverainement meprisable; et qui ne comprenez pas pourquoi le
Tout-Puissant, dans un rare moment de bouffonnerie excellente, qui,
certainement, ne depasse pas les grandes lois generales du grotesque,
prit, un jour, le mirifique plaisir de faire habiter une planete par des
etres singuliers et microcosmiques, qu'on appelle _humains_, et dont la
matiere ressemble a celle du corail vermeil. Certes, vous avez raison de
rougir, os et graisse, mais ecoutez-moi. Je n'invoque pas votre
intelligence; vous la feriez rejeter du sang par l'horreur qu'elle vous
temoigne: oubliez-la, et soyez consequents avec vous-memes ... La, plus
de contrainte. Quand je voulais tuer, je tuais; cela, meme, m'arrivait
souvent, et personne ne m'en empechait. Les lois humaines me
poursuivaient encore de leur vengeance, quoique je n'attaquasse pas la
race que j'avais abandonnee si tranquillement; mais ma conscience ne me
faisait aucun reproche. Pendant la journee, je me battais avec mes
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