instant sa main sur ton epaule. La chasse
negative se prolongea pendant une heure, lui, perdant ses forces, et,
toi, sentant croitre les tiennes. Desesperant d'egaler ta vitesse, il
fit une courte priere au Seigneur pour lui recommander son ame, se placa
sur le dos comme quand on fait la planche, de telle maniere qu'on
apercevait le coeur battre violemment sous sa poitrine, et attendit que
la mort arrivat, afin de ne plus attendre. En cet instant, tes membres
vigoureux etaient a perte de vue, et s'eloignaient encore, rapides comme
une sonde qu'on laisse filer. Une barque, qui revenait de placer ses
filets au large, passa dans ces parages. Les pecheurs prirent Reginald
pour un naufrage, et le halerent, evanoui, dans leur embarcation. On
constata la presence d'une blessure au flanc droit; chacun de ces matelots
experimentes emit l'opinion qu'aucune pointe d'ecueil ou fragment de
rocher n'etait susceptible de percer un trou si microscopique et en meme
temps si profond. Une arme tranchante, comme le serait un stylet des plus
aigus, pouvait seule s'arroger des droits a la paternite d'une si fine
blessure. Lui, ne voulut jamais raconter les diverses phases du plongeon,
a travers les entrailles des flots, et ce secret, il l'a garde jusqu'a
present. Des larmes coulent maintenant sur ses joues un peu decolorees,
et tombent sur tes draps: le souvenir est quelquefois plus amer que la
chose. Mais moi, je ne ressentirai pas de la pitie: ce serait te montrer
trop d'estime. Ne roule pas dans leur orbite ces yeux furibonds. Reste
calme plutot. Tu sais que tu ne peux pas bouger. D'ailleurs, je n'ai pas
termine mon recit.--Releve ton glaive, Reginald, et n'oublie pas si
facilement la vengeance. Qui sait? peut-etre un jour elle viendrait te
faire des reproches.--Plus tard, tu concus des remords dont l'existence
devait etre ephemere; tu resolus de racheter ta faute par le choix d'un
autre ami, afin de le benir et de l'honorer. Par ce moyen expiatoire, tu
effacais les taches du passe, et tu faisais retomber sur celui qui devint
la deuxieme victime, la sympathie que tu n'avais pas su montrer a l'autre.
Vain espoir; le caractere ne se modifie pas d'un jour a l'autre, et ta
volonte resta pareille a elle-meme. Moi, Elseneur, je te vis pour la
premiere fois, et, des ce moment, je ne pus t'oublier. Nous nous regardames
pendant quelques instants, et tu te mis a sourire. Je baissais les yeux,
parce que je vis dans les tiens une flamme surnaturelle. Je
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