eau. Tu me dis de m'agenouiller pour me
preparer a mourir; tu m'accordais un quart d'heure pour sortir de cette
terre. Quelques regards furtifs, pendant notre longue course, jetes a la
derobee sur moi, quand je ne t'observais pas, certains gestes dont j'avais
remarque l'irregularite de mesure et de mouvement se presenterent aussitot
a ma memoire, comme les pages ouvertes d'un livre. Mes soupcons etaient
confirmes. Trop faible pour lutter contre toi, tu me renversas a terre,
comme l'ouragan abat la feuille du tremble. Un de tes genoux sur ma
poitrine, et l'autre appuye sur l'herbe humide, tandis qu'une de tes mains
arretait la binarite de mes bras dans son etau, je vis l'autre sortir un
couteau, de la gaine appendue a ta ceinture. Ma resistance etait presque
nulle, et je fermai les yeux: les trepignements d'un troupeau de boeufs
s'entendirent a quelque distance, apportes par le vent. Il s'avancait
comme une locomotive, harcele par le baton d'un patre et les machoires
d'un chien. Il n'y avait pas de temps a perdre, et c'est ce que tu compris;
craignant de ne pas parvenir a tes fins, car l'approche d'un secours
inespere avait double ma puissance musculaire, et t'apercevant que tu ne
pouvais rendre immobile qu'un de mes bras a la fois, tu te contentas, par
un rapide mouvement imprime a la lame d'acier, de me couper le poignet
droit. Le morceau, exactement detache, tomba par terre. Tu pris la fuite,
pendant que j'etais etourdi par la douleur. Je ne te raconterai pas comment
le patre vint a mon secours, ni combien de temps devint necessaire a ma
guerison. Qu'il te suffise de savoir que cette trahison, a laquelle je ne
m'attendais pas, me donna l'envie de rechercher la mort. Je portai ma
presence dans les combats, afin d'offrir ma poitrine aux coups. J'acquis
de la gloire dans les champs de bataille; mon nom etait devenu redoutable
meme aux plus intrepides, tant mon artificielle main de fer repandait le
carnage et la destruction dans les rangs ennemis. Cependant, un jour que
les obus tonnaient beaucoup plus fort qu'a l'ordinaire, et que les
escadrons, enleves de leur base, tourbillonnaient, comme des pailles, sous
l'influence du cyclone de la mort, un cavalier, a la demarche hardie,
s'avanca devant moi, pour me disputer la palme de la victoire. Les deux
armees s'arreterent, immobiles, pour nous contempler en silence. Nous
combattimes longtemps, cribles de blessures, et les casques brises. D'un
commun accord, nous cessames la lutt
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