t'avais pas donne la
parole, et tu n'avais pas le droit de la prendre. Depuis notre legitime
union, aucun nuage n'est venu s'interposer entre nous. Je suis content
de toi, je n'ai jamais eu de reproches a te faire: et reciproquement.
Va chercher dans ton appartement un flacon rempli d'essence de
terebenthine. Je sais qu'il s'en trouve un dans les tiroirs de ta
commode, et tu ne viendras pas me l'apprendre. Depeche-toi de franchir
les degres de l'escalier en spirale, et reviens me trouver avec un
visage content." Mais la sensible Londonienne est a peine arrivee aux
premieres marches (elle ne court pas aussi promptement qu'une personne
des classes inferieures) que deja une de ses demoiselles d'atour
redescend du premier etage, les joues empourprees de sueur, avec le
flacon qui, peut-etre, contient la liqueur de vie dans ses parois de
cristal. La demoiselle s'incline avec grace en presentant son offre, et
la mere, avec sa demarche royale, s'est avancee vers les franges qui
bordent le sofa, seul objet qui preoccupe sa tendresse. Le commodore,
avec un geste fier, mais bienveillant, accepte le flacon des mains de
son epouse. Un foulard d'Inde y est trempe, et l'on entoure la tete de
Mervyn avec les meandres orbiculaires de la soie. Il respire des sels;
il remue un bras. La circulation se ranime, et l'on entend les cris
joyeux d'un kakatoes des Philippines, perche sur l'embrasure de la
fenetre. "Qui va la?... Ne m'arretez point ... Ou suis-je? Est-ce une
tombe qui supporte mes membres alourdis? Les planches m'en paraissent
douces ... Le medaillon qui contient le portrait de ma mere, est-il
encore attache a mon cou?... Arriere, malfaiteur, a la tete echevelee.
Il n'a pu m'atteindre, et j'ai laisse entre ses doigts un pan de mon
pourpoint. Detachez les chaines des bouledogues, car, cette nuit, un
voleur reconnaissable peut s'introduire chez nous avec effraction,
tandis que nous serons plonges dans le sommeil. Mon pere et ma mere, je
vous reconnais, et je vous remercie de vos soins. Appelez mes petits
freres. C'est pour eux que j'avais achete des pralines, et je veux les
embrasser." A ces mots, il tombe dans un profond etat lethargique. Le
medecin, qu'on a mande en toute hate, se frotte les mains et s'ecrie:
"La crise est passee. Tout va bien. Demain votre fils se reveillera
dispos. Tous, allez-vous-en dans vos couches respectives, je l'ordonne,
afin que je reste seul a cote du malade, jusqu'a l'apparition de
l'aurore et du chant
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