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Silence! il passe un cortege funeraire a cote de vous. Inclinez la
binarite de vos rotules vers la terre et entonnez un chant
d'outre-tombe. (Si vous considerez mes paroles plutot comme une simple
forme imperative, que comme un ordre formel qui n'est pas a sa place,
vous montrerez de l'esprit et du meilleur.) Il est possible que vous
parveniez de la sorte a rejouir extremement l'ame du mort, qui va se
reposer de la vie dans une fosse. Meme le fait est, pour moi, certain.
Remarquez que je ne dis pas que votre opinion ne puisse jusqu'a un
certain point etre contraire a la mienne; mais, ce qu'il importe avant
tout, c'est de posseder des notions justes sur les bases de la morale,
de telle maniere que chacun doive se penetrer du principe qui commande
de faire a autrui ce que l'on voudrait peut-etre qui fut fait a
soi-meme. Le pretre des religions ouvre le premier la marche, en tenant
a la main un drapeau blanc, signe de la paix, et de l'autre un embleme
d'or qui represente les parties de l'homme et de la femme, comme pour
indiquer que ces membres charnels sont la plupart du temps, abstraction
faite de toute metaphore, des instruments tres dangereux entre les mains
de ceux qui s'en servent, quand ils les manipulent aveuglement pour des
buts divers qui se querellent entre eux, au lieu d'engendrer une
opportune reaction contre la passion connue qui cause presque tous nos
maux. Au bas de son dos est attachee (artificiellement, bien entendu)
une queue de cheval, aux crins epais, qui balaie la poussiere du sol.
Elle signifie de prendre garde de ne pas nous ravaler par notre conduite
au rang des animaux. Le cercueil connait sa route et marche apres la
tunique flottante du consolateur. Les parents et les amis du defunt, par
la manifestation de leur position, ont resolu de fermer la marche du
cortege. Celui-ci s'avance avec majeste, comme un vaisseau qui fend la
pleine mer, et ne craint pas le phenomene de l'enfoncement; car, au
moment actuel, les tempetes et les ecueils ne se font pas remarquer par
quelque chose de moins que leur explicable absence. Les grillons et
les crapauds suivent a quelques pas la fete mortuaire; eux, aussi,
n'ignorent pas que leur modeste presence aux funerailles de quiconque
leur sera un jour comptee. Ils s'entretiennent a voix basse dans leur
pittoresque langage (ne soyez pas assez presomptueux, permettez-moi de
vous donner ce conseil non interesse, pour croire que vous seul possedez
la precieus
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