a mon
devoir. Mon pere et ma mere (que Dieu leur pardonne!), apres un an
d'attente, virent le ciel exaucer leurs voeux: deux jumeaux, mon frere
et moi, parurent a la lumiere. Raison de plus pour s'aimer. Il n'en fut
pas ainsi que je parle. Parce que j'etais le plus beau des deux, et le
plus intelligent, mon frere me prit en haine, et ne se donna pas la
peine de cacher ses sentiments: c'est pourquoi, mon pere et ma mere
firent rejaillir sur moi la plus grande partie de leur amour, tandis
que, par mon amitie sincere et constante, j'efforcai d'apaiser une ame,
qui n'avait pas le droit de se revolter, contre celui qui avait ete tire
de la meme chair. Alors, mon frere ne connut plus de bornes a sa fureur,
et me perdit, dans le coeur de nos parents communs, par les calomnies
les plus invraisemblables. J'ai vecu, pendant quinze ans, dans un
cachot, avec des larves et de l'eau fangeuse pour toute nourriture.
Je ne te raconterai pas en detail les tourments inouis que j'ai prouves,
dans cette longue sequestration injuste. Quelquefois, dans un moment de
la journee, un des trois bourreaux, a tour de role, entrait brusquement,
charge de pinces, de tenailles et de divers instruments de supplice. Les
cris que m'arrachaient les tortures les laissaient inebranlables: la
perte abondante de mon sang les faisait sourire. O mon frere, je t'ai
pardonne, toi la cause premiere de tous mes maux! Se peut-il qu'une rage
aveugle ne puisse enfin dessiller ses propres yeux! J'ai fait beaucoup
de reflexions, dans ma prison eternelle. Quelle devint ma haine generale
contre l'humanite, tu le devines. L'etiolement progressif, la solitude
du corps et de l'ame ne m'avaient pas fait perdre encore toute ma
raison, au point de garder du ressentiment contre ceux que je n'avais
cesse d'aimer: triple carcan dont j'etais l'esclave. Je parvins, par la
ruse, a recouvrer ma liberte! Degoute des habitants du continent, qui,
quoiqu'ils s'intitulassent mes semblables, ne paraissaient pas jusqu'ici
me ressembler en rien (s'ils trouvaient que je leur ressemblasse,
pourquoi me faisaient-ils du mal?), je dirigeai ma course vers les
galets de la plage, fermement resolu a me donner la mort, si la mer
devait m'offrir les reminiscences anterieures d'une existence fatalement
vecue. En croiras-tu tes propres yeux? Depuis le jour que je m'enfuis
de la maison paternelle, je ne me plains pas autant que tu le penses
d'habiter la mer et ses grottes de cristal. La Providence, comme tu
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