entre ton gout et le mien
est invisible; tu ne pourras jamais la saisir: preuve que cette
frontiere elle-meme n'existe pas. Reflechis donc qu'alors (je ne fais
ici qu'effleurer la question) il ne serait pas impossible que tu eusses
signe un traite d'alliance avec l'obstination, cette agreable fille du
mulet, source si riche d'intolerance. Si je ne savais pas que tu n'etais
pas un sot, je ne te ferais pas un semblable reproche. Il n'est pas
utile pour toi que tu t'encroutes dans la cartilagineuse carapace d'un
axiome que tu crois inebranlable. Il y a d'autres axiomes aussi qui sont
inebranlables, et qui marchent parallelement avec le tien. Si tu as un
penchant marque pour le caramel (admirable farce de la nature), personne
ne le concevra comme un crime; mais, ceux dont l'intelligence, plus
energique et capable de plus grandes choses, prefere le poivre et
l'arsenic, ont de bonnes raisons pour agir de la sorte, sans avoir
l'intention d'imposer leur pacifique domination a ceux qui tremblent de
peur devant une musaraigne ou l'expression parlante des surfaces d'un
cube. Je parle par experience, sans venir jouer ici le role de
provocateur. Et, de meme que les rotiferes et les tardigrades peuvent
etre chauffes a une temperature voisine de l'ebullition, sans perdre
necessairement leur vitalite, il en sera de meme pour toi, si tu sais
t'assimiler, avec precaution, l'acre serosite suppurative qui se degage
avec lenteur de l'agacement que causent mes interessantes elucubrations.
Eh! quoi, n'est-on pas parvenu a greffer sur le dos d'un rat vivant la
queue detachee du corps d'un autre rat? Essaie donc pareillement de
transporter dans ton imagination les diverses modifications de ma raison
cadaverique. Mais, sois prudent. A l'heure que j'ecris, de nouveaux
frissons parcourent l'atmosphere intellectuelle: il ne s'agit que
d'avoir le courage de les regarder en face. Pourquoi fais-tu cette
grimace? Et meme tu l'accompagnes d'un geste que l'on ne pourrait imiter
qu'apres un long apprentissage. Sois persuade que l'habitude est
necessaire en tout; et, puisque la repulsion instinctive, qui s'etait
declaree des les premieres pages, a notablement diminue de profondeur,
en raison inverse de l'application a la lecture, comme un furoncle qu'on
incise, il faut esperer, quoique ta tete soit encore malade, que ta
guerison ne tardera certainement pas a rentrer dans sa derniere periode.
Pour moi, il est indubitable que tu vogues deja en pleine convalesc
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