nouveaux semblables, et le sol etait parseme de nombreuses couches de
sang caille. J'etais le plus fort, et je remportais toutes les victoires.
Des blessures cuisantes couvraient mon corps; je faisais semblant de ne
pas m'en apercevoir. Les animaux terrestres s'eloignaient de moi, et je
restais seul dans ma resplendissante grandeur. Quel ne fut pas mon
etonnement, quand, apres avoir traverse un fleuve a la nage, pour
m'eloigner des contrees que ma rage avait depeuplees, et gagner d'autres
campagnes pour y planter mes coutumes de meurtre et de carnage, j'essayai
de marcher sur cette rive fleurie! Mes pieds etaient paralyses; aucun
mouvement ne venait trahir la verite de cette immobilite forcee. Au milieu
d'efforts surnaturels, pour continuer mon chemin, ce fut alors que je me
reveillai, et que je sentis que je redevenais homme. La Providence me
faisait ainsi comprendre, d'une maniere qui n'est pas inexplicable, qu'elle
ne voulait pas que, meme en reve, mes projets sublimes s'accomplissent.
Revenir a ma forme primitive fut pour moi une douleur si grande, que,
pendant les nuits, j'en pleure encore. Mes draps sont constamment mouilles,
comme s'ils avaient ete passes dans l'eau, et, chaque jour, je les fais
changer. Si vous ne le croyez pas, venez me voir; vous controlerez, par
votre propre experience, non pas la vraisemblance, mais, en outre, la
verite meme de mon assertion. Combien de fois, depuis cette nuit passee
a la belle etoile, sur une falaise, ne me suis-je pas mele a des troupeaux
de pourceaux, pour reprendre, comme un droit, ma metamorphose detruite! Il
est temps de quitter ces souvenirs glorieux, qui ne laissent, apres leur
suite, que la pale voie lactee des regrets eternels.
* * * * *
Il n'est pas impossible d'etre temoin d'une deviation anormale dans le
fonctionnement latent ou visible des lois de la nature. Effectivement,
si chacun se donne la peine ingenieuse d'interroger les diverses phases
de son existence (sans en oublier une seule, car c'etait peut-etre
celle-la qui etait destinee a fournir la preuve de ce que j'avance),
il ne se souviendra pas, sans un certain etonnement, qui serait comique
en d'autres circonstances, que, tel jour, pour parler premierement de
choses objectives, il fut temoin de quelque phenomene qui semblait
depasser et depassait positivement les notions connues fournies par
l'observation et l'experience, comme, par exemple, les pluies de
crapauds, dont l
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