que expression, et ne donnaient pas a ses confidences leur moindre
valeur. Je le portai dans la chaumiere la plus voisine; car, il venait de
s'evanouir, et je ne quittai les laboureurs que lorsque je leur eu laisse
ma bourse, pour donner des soins au blesse, et que je leur eusse fait
promettre qu'ils prodigueraient au malheureux, comme a leur propre fils,
les marques d'une sympathie perseverante. A mon tour, je leur racontai
l'evenement, et je m'approchai de la porte, pour remettre le pied sur le
sentier; mais, voila qu'apres avoir fait une centaine de metres, je revins
machinalement sur mes pas, j'entrai de nouveau dans la chaumiere et,
m'adressant a leurs proprietaires naifs, je m'ecriai: "Non, non ... ne
croyez pas que cela m'etonne!" Cette fois-ci, je m'eloignai
definitivement; mais, la plante des pieds ne pouvait pas se poser d'une
maniere sure: un autre aurait pu ne pas s'en apercevoir! Le loup ne
passe plus sous la potence qu'eleverent, un jour de printemps, les mains
entrelacees d'une epouse et d'une mere, comme quand il faisait prendre,
a son imagination charmee, le chemin d'un repas illusoire. Quand il
voit, a l'horizon, cette chevelure noire, balancee par le vent, il
n'encourage pas sa force d'inertie, et prend la fuite avec une vitesse
incomparable! Faut-il voir, dans ce phenomene psychologique, une
intelligence superieure a l'ordinaire instinct des mammiferes? Sans rien
certifier et meme sans rien prevoir, il me semble que l'animal a compris
ce que c'est que le crime! Comment ne le comprendrait-il pas, quand des
etres humains, eux-memes, ont rejete, jusqu'a ce point indescriptible,
l'empire de la raison, pour ne laisser subsister, a la place de cette
reine detronee, qu'une vengeance farouche!
* * * * *
Je suis sale. Les poux me rongent. Les pourceaux, quand ils me regardent,
vomissent. Les croutes et les escarres de la lepre ont ecaille ma peau,
couverte de pus jaunatre. Je ne connais pas l'eau des fleuves, ni la
rosee des nuages. Sur ma nuque, comme sur un fumier, pousse un enorme
champignon, aux pedoncules ombelliferes. Assis sur un meuble informe,
je n'ai pas bouge mes membres depuis quatre siecles. Mes pieds ont pris
racine dans le sol et composent, jusqu'a mon ventre, une sorte de
vegetation vivace, remplie d'ignobles parasites, qui ne derive pas
encore de la plante, et qui n'est plus de la chair. Cependant mon coeur
bat. Mais comment battrait-il, si la pourriture et le
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