absence de
l'expression naturelle, ressemblait a la concretion pierreuse d'un
stalagtite. Depuis trois jours, il subissait ce supplice. Il s'ecriait:
"Qui me denouera les bras? qui me denouera les cheveux? Je me disloque
dans des mouvements qui ne font que separer davantage de ma tete la
racine des cheveux; la soif et la faim ne sont pas les causes
principales qui m'empechent de dormir. Il est impossible que mon
existence enfonce son prolongement au dela des bornes d'une heure.
Quelqu'un pour m'ouvrir la gorge, avec un caillou acere!" Chaque mot
etait precede, suivi de hurlements intenses. Je m'elancai du buisson
derriere lequel j'etais abrite, et je me dirigeai vers le pantin ou
morceau de lard attache au plafond. Mais, voici que, du cote oppose,
arriverent en dansant deux femmes ivres. L'une tenait un sac, et deux
fouets, aux cordes de plomb, l'autre, un baril plein de goudron et deux
pinceaux. Les cheveux grisonnants de la plus vieille flottaient au vent,
comme les lambeaux d'une voile dechiree, et les chevilles de l'autre
claquaient entre elles, comme les coups de queue d'un thon sur la
dunette d'un vaisseau. Leurs yeux brillaient d'une flamme si noire et si
forte, que je ne crus pas d'abord que ces deux femmes appartinssent a
mon espece. Elles riaient avec un aplomb tellement egoiste, et leurs
traits inspiraient tant de repugnance, que je ne doutai pas un seul
instant que je n'eusse devant les yeux les deux specimens les plus
hideux de la race humaine. Je me recachai derriere le buisson, et je me
tins tout coi, comme l'acantophorus serraticornis, qui ne montre que la
tete en dehors de son nid. Elles approchaient avec la vitesse de la
maree; appliquant l'oreille sur le sol, le son, distinctement percu,
m'apportait l'ebranlement lyrique de leur marche. Lorsque les deux
femelles d'orang-outang furent arrivees sous la potence, elles
reniflerent l'air pendant quelques secondes; elles montrerent, par leurs
gestes saugrenus, la quantite vraiment remarquable de stupefaction qui
resulta de leur experience, quand elles s'apercurent que rien n'etait
change dans ces lieux: le denoument de la mort, conforme a leurs voeux,
n'etait pas survenu. Elles n'avaient pas daigne lever la tete, pour
savoir si la mortadelle etait encore a la meme place. L'une dit: "Est-ce
possible que tu sois encore respirant? Tu as la vie dure, mon mari
bien-aime." Comme quand deux chantres, dans une cathedrale, entonnent
alternativement les versets d'un p
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