n'a pas l'air de se fatiguer; tantot,
il se couche sur le dos, avec ses deux fortes pattes en l'air, et, avec
sang-froid, regarde ironiquement son adversaire. Il faudra, a bout de
compte, que je sache qui sera le vainqueur; le combat ne peut pas
s'eterniser. Je songe aux consequences qu'il en resultera! L'aigle est
terrible, et fait des sauts enormes qui ebranlent la terre, comme s'il
allait prendre son vol; cependant, il sait que cela lui est impossible.
Le dragon ne s'y fie pas; il croit qu'a chaque instant l'aigle va
l'attaquer par le cote ou il manque d'oeil ... Malheureux que je suis!
C'est ce qui arrive. Comment le dragon s'est laisse prendre a la
poitrine? Il a beau user de la ruse et de la force; je m'apercois que
l'aigle, colle a lui par tous ses membres, comme une sangsue, enfonce
de plus en plus son bec, malgre de nouvelles blessures qu'il recoit,
jusqu'a la racine du cou, dans le ventre du dragon. On ne lui voit que
le corps. Il parait etre a l'aise; il ne se presse pas d'en sortir. Il
cherche sans doute quelque chose, tandis que le dragon, a la tete de
tigre, pousse des beuglements qui reveillent les forets. Voila l'aigle,
qui sort de cette caverne. Aigle, comme tu es horrible! Tu es plus rouge
qu'une mare de sang! Quoique tu tiennes dans ton bec nerveux un coeur
palpitant, tu es si couvert de blessures, que tu peux a peine te
soutenir sur tes pattes emplumees; et que tu chancelles, sans desserrer
le bec, a cote du dragon qui meurt dans d'effroyables agonies. La
victoire a ete difficile; n'importe, tu l'as remportee: il faut, au
moins, dire la verite ... Tu agis d'apres les regles de la raison, en te
depouillant de la forme d'aigle, pendant que tu t'eloignes du cadavre du
dragon. Ainsi donc, Maldoror, tu as ete vainqueur! Ainsi donc, Maldoror,
tu as vaincu l'_Esperance_! Desormais, le desespoir se nourrira de ta
substance la plus pure! Desormais. tu rentres, a pas deliberes, dans la
carriere du mal! Malgre que je sois, pour ainsi dire, blase sur la
souffrance, le dernier coup que tu as porte au dragon n'a pas manque de
se faire sentir en moi. Juge toi-meme si je souffre! Mais tu me fais
peur. Voyez, voyez, dans le lointain, cet homme qui s'enfuit. Sur lui,
terre excellente, la malediction a pousse son feuillage touffu; il est
maudit et il maudit. Ou portes-tu tes sandales? Ou t'en vas-tu, hesitant
comme un somnambule, au-dessus d'un toit? Que ta destinee perverse
s'accomplisse! Maldoror, adieu! Adieu, jusqu'
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