ma figure pale et fait luire mes yeux
avec la flamme aigre de la fievre. Au reste, je ne demanderais pas mieux
que de ne pas epuiser mon esprit a reflechir continuellement; mais,
quand meme je ne le voudrais pas, mes sentiments consternes m'entrainent
invinciblement vers cette pente. Je me suis apercu que les autres
enfants sont comme moi; mais, ils sont plus pales encores, et leurs
sourcils sont fronces, comme ceux des hommes, nos freres aines. O
Createur de l'univers, je ne manquerai pas, ce matin, de t'offrir
l'encens de ma priere enfantine. Quelquefois je l'oublie, et j'ai
remarque que, ces jours-la, je me sens plus heureux qu'a l'ordinaire;
ma poitrine s'epanouit, libre de toute contrainte, et je respire, plus
a l'aise, l'air embaume des champs; tandis que, lorsque j'accomplis le
penible devoir, ordonne par mes parents, de t'adresser quotidiennement
un cantique de louanges, accompagne de l'ennui inseparable que me cause
sa laborieuse invention, alors, je suis triste et irrite, le reste de la
journee, parce qu'il ne me semble pas logique et naturel de dire ce que
je ne pense pas, et je recherche le recul des immenses solitudes. Si je
leur demande l'explication de cet etat etrange de mon ame, elles ne me
repondent pas. Je voudrais t'aimer et t'adorer; mais, tu es trop
puissant, et il y a de la crainte dans mes hymnes. Si, par une seule
manifestation de ta pensee, tu peux detruire ou creer des mondes, mes
faibles prieres ne te seront pas utiles; si, quand il te plait, tu
envoies le cholera ravager les cites, ou la mort emporter dans ses
serres, sans aucune distinction, les quatre ages de la vie, je ne veux
pas me lier avec un ami si redoutable. Non pas que la haine conduise le
fil de mes raisonnements; mais, j'ai peur, au contraire, de ta propre
haine, qui, par un ordre capricieux, peut sortir de ton coeur et devenir
immense, comme l'envergure du condor des Andes. Tes amusements
equivoques ne sont pas a ma portee, et j'en serais probablement la
premiere victime. Tu es le Tout-Puissant; je ne te conteste pas ce
titre, puisque, toi seul, as le droit de le porter, et que tes desirs,
aux consequences funestes ou heureuses, n'ont de terme que toi-meme.
Voila precisement pourquoi il me serait douloureux de marcher a cote de
ta cruelle tunique de saphir, non pas comme ton esclave, mais pouvant
l'etre d'un moment a l'autre. Il est vrai que, lorsque tu descends en
toi-meme, pour scruter ta conduite souveraine, si le fantome d'u
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