force de
lui rappeler sa jeunesse doree, qui ne demande qu'a s'avancer dans les
palais des plaisirs, comme une reine; mais, il remarque que mes paroles
sortent difficilement de ma bouche amaigrie, et que les annees de mon
propre printemps ont passe, tristes et glaciales, comme un reve
implacable qui promene sur les tables des banquets, et sur les lits de
satin, ou sommeille la pale pretresse d'amour, payee avec les
miroitements de l'or, les voluptes ameres du desenchantement, les rides
pestilentielles de la vieillesse, les effarements de la solitude et les
flambeaux de la douleur. Voyant mes manoeuvres inutiles, je ne m'etonne
pas ne pas pouvoir le rendre heureux; le Tout-Puissant m'apparait revetu
de ses instruments de torture, dans toute l'aureole resplendissante de
son horreur; je detourne les yeux et regarde l'horizon qui s'enfuit a
notre approche ... Nos chevaux galopaient le long du rivage, comme s'ils
fuyaient l'oeil humain ... Mario est plus jeune que moi; l'humidite du
temps et l'ecume salee qui rejaillit jusqu'a nous amenent le contact du
froid sur ses levres. Je lui dis: "Prends garde!... prends garde!...
ferme tes levres, les unes contre les autres; ne vois-tu pas les griffes
aigues de la gercure, qui sillonne ta peau de blessures cuisantes?" Il
fixe mon front, et me replique, avec les mouvements de sa langue: "Oui,
je les vois, ces griffes vertes; mais, je ne derangerai pas la situation
naturelle de ma bouche pour les faire fuir. Regarde, si je mens.
Puisqu'il parait que c'est la volonte de la Providence, je veux m'y
conformer. Sa volonte aurait pu etre meilleure." Et moi, je m'ecriai:
"J'admire cette vengeance noble." Je voulus m'arracher les cheveux;
mais, il me le defendit avec un regard severe, et je lui obeis avec
respect. Il se faisait tard, et l'aigle regagnait son nid, creuse dans
les anfractuosites de la roche. Il me dit: "Je vais te preter mon
manteau, pour te garantir du froid; je n'en ai pas besoin." Je lui
repliquai: "Malheur a toi, si tu fais ce que tu dis. Je ne veux pas
qu'un autre souffre a ma place, et surtout toi." Il ne repondit pas,
parce que j'avais raison; mais, moi, je me mis a le consoler, a cause de
l'accent trop impetueux de mes paroles ... Nos chevaux galopaient le
long du rivage, comme s'ils fuyaient l'oeil humain ... Je relevai la
tete, comme la proue d'un vaisseau soulevee par une vague enorme, et je
lui dis: "Est-ce que tu pleures? Je te le demande, roi des neiges et des
broui
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