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La Seine entraine un corps humain. Dans ces circonstances, elle prend
des allures solennelles. Le cadavre gonfle se soutient sur les eaux; il
disparait sous l'arche d'un pont; mais, plus loin, on le voit apparaitre
de nouveau, tournant lentement sur lui-meme, comme une roue de moulin,
et s'enfoncant par intervalles. Un maitre de bateau, a l'aide d'une
perche, l'accroche au passage, et le ramene a terre. Avant de
transporter le corps a la Morgue, on le laisse quelque temps sur la
berge, pour le ramener a la vie. La foule compacte se rassemble autour
du corps. Ceux qui ne peuvent pas voir, parce qu'ils sont derriere,
poussent, tant qu'ils peuvent, ceux qui sont devant. Chacun se dit: "Ce
n'est pas moi qui me serais noye." On plaint le jeune homme qui s'est
suicide; on l'admire; mais, on ne l'imite pas. Et, cependant, lui, a
trouve tres naturel de se donner la mort, ne jugeant rien sur la terre
capable de le contenter, et aspirant plus haut. Sa figure est distinguee,
et ses habits sont riches. A-t-il encore dix-sept ans? C'est mourir jeune!
La foule paralysee continue de jeter sur lui ses yeux immobiles ... Il
se fait nuit. Chacun se retire silencieusement. Aucun n'ose renverser le
noye, pour lui faire rejeter l'eau qui remplit son corps. On a craint de
passer pour sensible, et aucun n'a bouge, retranche dans le col de sa
chemise. L'un s'en va, en sifflotant aigrement une tyrolienne absurde;
l'autre fait claquer ses doigts comme des castagnettes ... Harcele par
sa pensee sombre, Maldoror, sur son cheval, passe pres de cet endroit,
avec la vitesse de l'eclair. Il apercoit le noye; cela suffit. Aussitot,
il a arrete son coursier, et est descendu de l'etrier. Il souleve le
jeune homme sans degout, et lui fait rejeter l'eau avec abondance. A la
pensee que ce corps inerte pourrait revivre sous sa main, il sent son
coeur bondir, sous cette impression excellente, et redouble de courage.
Vains efforts! Vains efforts, ai-je dit, et c'est vrai. Le cadavre reste
inerte, et se laisse tourner en tous sens. Il frotte les tempes; il
frictionne ce membre-ci, ce membre-la: il souffle pendant une heure, dans
la bouche, en pressant ses levres contre les levres de l'inconnu. Il lui
semble enfin sentir sous sa main, appliquee contre la poitrine, un leger
battement. Le noye vit! A ce moment supreme, on put remarquer que
plusieurs rides disparurent du front du cavalier, et le rajeunirent de
dix ans. Mais, helas! les rides reviendront, peu
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