Heureusement, il avait bu, selon sa coutume, et
il ne vous a pas reconnu; mais il a deja fait son rapport, et je suis
sure que les soupcons peseront sur vous, parce que vous etes le seul
etranger qu'il y ait maintenant dans le pays. On enverra des espions ici
pour me questionner. Donnez-moi ce caban que je le cache, et brulez-moi
bien vite ces maudites fleurs.
--A quoi bon? Dites la verite. Je n'ai fait aucune profanation. J'ai
pris ces fleurs pour taquiner une jeune fille qu'il n'est pas necessaire
de nommer...
--Et vous croyez que l'on ne se doutera pas de son nom? On pretend que
l'on vous a vu entrer avant-hier dans la maison qu'habite ma niece.
Est-ce vrai, cela?
--La Mariuccia est si brave femme, que je n'hesitai pas a me confesser.
Elle fut touchee de ma sincerite, et je ris, du reste, qu'elle etait
flattee de mon gout pour sa niece.
--Allons, allons, dit-elle, il ne faut plus faire de pareilles
imprudences. Si Masolino vous eut surpris dans la chambre de sa soeur,
il vous eut tue.
--Je ne crois pas, ma chere! Sans me piquer d'etre un champion bien
robuste, je le suis assez pour me defendre d'un ivrogne; et il est
heureux pour votre neveu que je ne l'aie pas rencontre, cette nuit, en
haut de l'escalier de la maison dont vous parlez.
--_Cristo_! l'auriez-vous frappe, cette nuit?
--J'espere que oui. Il m'avait beaucoup insulte, et il mettait la main
sur moi. Je me suis debarrasse de lui sans peine.
--Il ne s'est pas vante de cela! Peut-etre ne l'a-t-il pas senti:
les ivrognes ont le corps si souple! Mais il n'etait pas assez ivre,
cependant, pour ne pas voir et entendre. Avez-vous parle?
--Non.
--Pas un mot?
--Pas une syllabe?
--C'est bien! mais, pour l'amour de Dieu et de vous-meme, n'avouez rien
a personne... S'il se souvient d'avoir ete battu, et s'il apprend que
c'est par vous, il s'en vengera!
---Je l'attends de pied ferme; mais je veux tout savoir, Mariuccia!
Votre neveu est-il homme a vouloir exploiter mon inclination pour sa
soeur?
--Masolino Belli est capable de tout.
--Mais quel interet peut-il avoir a me vouloir pour beau-frere? Je ne
suis pas riche, vous le voyez bien!
--Allons donc! Vous savez peindre, et, avec cela, on gagne toujours de
quoi etre bien habille, bien loge et bien nourri comme vous voila. Tout
est relatif. Vous etes tres-riche en comparaison de n'importe quel
artisan de Frascati, et, si Masolino se mettait dans la tete de vous
faire epouser sa soeur,
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