n epaule,
calme, a defier la chute des etoiles, ardent, a escalader le ciel,
tendre comme une mere et faible comme une femme, emu comme une eau qui
frissonne au moindre souffle, jaloux comme un tigre, confiant comme un
petit enfant, orgueilleux devant tout ce qui est, humble devant le
seul etre qui compte desormais pour quelque chose, agite de transports
inconnus, apaise par une langueur delicieuse... et tout cela a la fois!
toutes les situations, toutes les sensations, toutes les forces morales
et physiques se revelant avec une intensite, une clarte et une plenitude
supremes!
C'est donc la l'amour! Ah! j'avais bien raison d'y aspirer comme au
souverain bien, dans mes premieres heures de jeunesse! Mais que j'etais
loin de savoir ce qu'un pareil sentiment, quand il se reveille
tout entier, renferme de joies et de puissance! Il me semble que,
d'aujourd'hui, je suis un homme. Hier, je n'etais qu'un fantome. Un
voile est tombe de devant mes yeux. Toutes choses m'apparaissaient
troubles et fantasques. J'attribuais a la solitude et a la liberte une
valeur qu'elles n'ont pas. J'avais, de mon repos, de mon independance,
de mon avenir, des convenances de ma situation, de mon petit bien-etre
intellectuel, de ma raison vaine et vulgaire, un soin ridicule. Je
voyais faux. C'est tout simple: j'etais seul dans la vie! Quiconque est
seul est fou, et cette sagesse qui se preserve et se defend de la vie
complete est un veritable etat alienation.
Mais vivre a deux, sentir qu'il y a sous le ciel un etre qui vous
prefere a lui-meme et qui vous force a lui rendre tout ce qu'il se
retire pour vous le donner; sortir absolument de ce triste _moi_ pour
vivre dans une autre ame, pour s'isoler avec elle de tout ce qui n'est
pas l'amour, mon Dieu! quelle etrange et mysterieuse felicite!
Et pourquoi est-ce ainsi? Autre mystere! Pourquoi cette femme, et non
pas toute antre plus belle peut-etre et meilleure ou plus eprise encore?
La raison, la fausse raison d'hier s'efforcerait vainement de rabaisser
mon choix et de me montrer l'image d'une maitresse plus desirable. La
raison souveraine d'aujourd'hui, cette extase, cette vision du vrai
absolu, repondrait victorieusement que la seule maitresse qu'on puisse
desirer est celle qu'on a, et que la seule femme qu'on puisse adorer est
celle qui vous a jete dans l'etat surnaturel ou me voici.
Oui, je me sens, en ce moment, au-dessus de la nature humaine;
c'est-a-dire hors de moi, et plus grand, et plu
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