ulence souriante avec la solennite de
l'abandon, des motifs pour toute la vie d'un peintre. Ces ruines n'ont
rien qui rappelle celles de nos manoirs feodaux. Il n'y faudrait
chercher ni les grandes lignes austeres, ni la sombre couleur, ni le
caractere effrayant. Le Pianto lui-meme n'a rien de lugubre. C'est
toujours l'Italie qui rit et chante jusque sous l'herbe du tombeau.
Mais, par cela meme que de telles ruines ont une physionomie que les
litterateurs et les peintres n'ont pas usee, soit qu'ils ne l'aient pas
regardee, soit qu'ils ne l'aient pas comprise, elles sont pour moi une
trouvaille. Ce n'est pas seulement un fait a etudier, c'est un certain
aspect a rendre, un sentiment particulier a exprimer; c'est une
interpretation originale d'objets qui ont leur maniere d'exister.
J'ai appris avec soin la perspective et j'ai etudie l'architecture, ne
voulant pas etre arrete par des obstacles materiels qui genent meme les
maitres aujourd'hui. On s'est moque de moi a l'atelier, et je me suis
obstine a croire qu'en attendant la revelation de la syntaxe des choses,
il etait bon d'en connaitre la grammaire elementaire. Nous n'avons pas
toujours a notre service les conditions de l'inspiration, et les tons
froids dominent dans le tableau de la vie; c'est donc une immense perte
de temps que d'attendre les beaux jours de l'exuberance. Si nous n'avons
qu'accidentellement du soleil dans l'ame, nous avons toujours, quand
nous la cultivons un peu, cette tranquille et laborieuse petite volonte
dont vous aussi, mon ami, vous m'avez raille quelquefois. Tant il y a
qu'aujourd'hui me voila prisonnier dans des murailles, c'est-a-dire dans
des lignes, des aplombs, des angles et des paralleles; que tout cela
produit, dans l'ombre et dans la lumiere, des effets magiques, et que je
suis bien content d'etre adroit et habile, en attendant mieux.
J'ai donc passe deux heures a me promener dans tous les sens et a
contempler les effets. Je n'avais que l'embarras du choix. Il s'agit
de commencer par quelque chose, et je suis fixe pour demain; mais vous
savez, mon ami, que l'on ne peut pas travailler exclusivement devant la
nature. Elle ne pose pas toujours devant nous, et meme elle pose a peu,
qu'elle nous desespere. C'est un modele qui ne reste pas un instant
eclaire comme l'instant d'auparavant. Il faut prendre l'effet au vol, et
interpreter ensuite avec le sentiment. J'avais donc besoin d'un atelier
pour travailler _da me_, comme on dit ici, et
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