, ou de
magnifiques asphodeles croissent librement sur les margelles disjointes
des bassins taris et ensables. Je suis encore plus heureux qu'hier,
bien qu'hier cela ne me parut pas possible, bien que je n'eusse pas
conscience, et cela pour la premiere fois de ma vie, de l'absence du
soleil. Je ne m'en suis apercu qu'en revenant a Frascati, en voyant
l'herbe mouillee et le ciel noir. Ah! qu'est-ce que cela me fait, a
present, qu'il y ait de la lumiere et de la chaleur sur la terre? J'ai
mon soleil dans l'ame, mon foyer de vie est dans l'amour qui brule en
moi.
Ne soyons pas ingrat pourtant: le soleil de la-haut est un bel eclairage
pour le splendide decor qui m'environne, et je vais cherir exclusivement
cet endroit-ci, parce que je suis aussi pres d'_elle_ que possible. Je
reve a trouver le moyen de m'y etablir le jour et la nuit. Comment cela
se pourra-t-il? Je ne sais. C'est, comme je vous l'ai dit, une ruine
abandonnee; mais il faudra reussir a m'y faire un nid.
C'est que, voyez-vous, la villa Taverna et la villa Mondragone sont
situees dans le meme parc. Toutes deux appartiennent a une princesse
Borghese qui ne songe pas a en faire deux lots separes. De la villa
Taverna, belle maison de plaisance a mi-cote, on suit un _stradone_,
c'est-a-dire une vaste allee couverte d'arbres seculaires, si longue
et si rapide, qu'il ne faut pas moins de vingt minutes pour la monter.
Enfin, tout en haut et tout a coup, en tournant dans des bosquets sur
la gauche, on se trouve devant une masse de constructions
incomprehensibles: c'est Mondragone, villa immense et pleine de
caractere, bien qu'elle n'ait rien d'imposant. Le style italien des
derniers temps de la renaissance est toujours petit de proportions,
quelle que soit sa dimension reelle, et l'oeil s'y trompe absolument au
premier aspect.
C'est dans cette vaste residence deserte que je peux penetrer et
m'enfermer, sous pretexte de faire des etudes de dessin. La femme de
charge de la villa Taverna, cette Olivia, amie de ma Daniella, qui me
connait deja depuis quelques jours, me confie une clef qui ne pese pas
moins d'un kilo, et que je dois rapporter a six heures. Cela me permet
d'echanger deux fois par jour, en passant a Taverna, quelques regards
avec Daniella, qui, dans une salle basse des communs, travaille a une
formidable lessive; mais j'ai tant de respect pour elle, a present,
qu'afin de ne pas l'exposer aux plaisanteries des gens de la maison,
je fais semblant de ne
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