Dieu, la nuit, et quand l'air est detendu par la pluie, les
sons lointains nous arrivent quelquefois si deguises, que l'on jurerait
entendre tout autre chose que ce qui est.
Il fallut nous arreter a cette supposition. Il n'y en a pas d'autre
admissible. Nous nous rendormimes au son du piano fantastique, dans
cette masure, que l'on pourrait appeler le chateau du diable.
A mon tour, je fus vaincu par le sommeil, a tel point, que Daniella,
craignant mon chagrin et mon inquietude ordinaires, se leva sans bruit,
au point du jour, et s'echappa furtivement, apres m'avoir bien enferme
dans le casino, car elle craignait qu'etant libre d'errer dans les
ruines, je ne me fisse voir par quelque ouverture.
Elle ne fut pas plus tot partie, qu'une sollicitude instinctive
m'eveilla, et que je voulus courir apres elle pour lui dire mon projet
d'evasion; mais j'etais sous clef et je me resignai a reprendre mon
somme. Le temps s'annoncait magnifique, et le soleil envoyait deja une
lueur rose derriere les montagnes bleuatres. Sur ces terrains inclines,
ou la roche volcanique s'egrene en sable dore a la surface, la pluie ne
laisse ni fange ni humidite, et, une heure apres la plus forte averse,
on n'en retrouve la trace que sur les herbes plus vertes et les fleurs
plus riantes. Je me consolai donc un peu, en pensant que ma chere
Daniella n'avait a faire, ce matin-la, qu'une promenade agreable a
travers le parc.
Ce fut elle qui m'eveilla a neuf heures. Elle avait couru pour moi toute
la matinee. Elle avait ete a Frascati comme pour acheter du fil, mais,
en fait, pour savoir ce qui se passait a propos de moi. Elle avait
cause avec la Mariuccia, et m'apportait, de Piccolomini, ma valise,
mon necessaire de toilette; mes albums et mon argent. Ceci me parut
tres-bien vu; nous etions libres de partir. En outre, elle apportait des
provisions de bouche pour deux jours, de la bougie, des cigares, et ce
fameux cafe dont elle tenait tant a ne pas me sevrer.
Elle avait trouve moyen de faire grimper tout ce fardeau, dans une
brouette poussee par un des journaliers de Piccolomini, jusqu'au haut du
_stradone_, le tout recouvert de pois secs que la Mariuccia etait
censee vendre a Olivia, et que celle-ci faisait remiser dans un de ses
_fourre-tout_ de Mondragone, ou, selon elle, on allait envoyer encore
une fois des ouvriers pour reparer le chateau. Le paysan avait laisse la
brouette a l'entree de la cour, et, renvoye de suite, il n'avait rien vu
deb
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