s,
ignorant sur quels sommets de montagnes ou sur quels profonds abimes
nous poursuivions au hasard notre voyage dans l'inconnu. Cela etait
terrible et delicieux. La nature se derobait a notre appreciation comme
a notre action; mais l'ange du salut poussait notre lit tranquille sur
les eaux dechainees, et tenait le gouvernail en nous disant: "Dormez!"
Et je me rendormis sans bien savoir si je m'etais eveille.
Vers deux heures du matin, je me reveillai tout a fait, saisi par le
froid. Je fis sonner la vieille montre a repetition que mon oncle le
cure me donna jadis pour etrennes. Je ne touche jamais cette respectable
bassinoire sans qu'elle me rappelle un de ces jours d'orgueil et
d'ivresse qui comptent dans la vie des enfants. Tout mon passe et tout
mon present me revinrent en memoire, et je recouvrai ma lucidite.
Daniella dormait sans paraitre souffrir du froid; ses mains etaient
tiedes. Pourtant je craignis qu'elle n'eprouvat les effets de
l'humidite, et je me levai pour rallumer le feu.
La pluie tombait toujours avec la meme persistance. Je souffris a l'idee
que ma chere compagne se leverait avant le jour et traverserait ce
deluge pour retourner a la villa Taverna.
--Il faut absolument changer cette maniere de vivre, me disais-je; voila
la troisieme matinee qui me brise le coeur en exposant la sante et la
vie de ma bien-aimee. Il est impossible que je continue a l'attendre
quand c'est moi qui devrais l'aller trouver, me mouiller, marcher dans
les tenebres, affronter les mauvaises rencontres; et, puisqu'en me
recevant chez elle ou chez Olivia, il est impossible qu'elle ne soit
pas diffamee ou menacee, il faut que je l'emmene ou que je l'epouse. Ce
mystere etait plein de charmes; mais il a de trop graves inconvenients,
il me coute trop d'inquietudes et de remords.
J'oubliais que j'etais sous le coup d'une arrestation, et que, mon
emprisonnement devant faire le desespoir de Daniella, je lui avais donne
ma parole de ne rien negliger pour m'y soustraire. Je me rappelai cette
circonstance; mais n'etait-il pas plus facile de fuir ensemble que de se
cacher a deux pas de nos ennemis, dans les ruines de Mondragone?
--Oui, oui, il faut fuir, me disais-je, et fuir des demain. Il faut
que cette soiree charmante et cette nuit poetique ne me portent pas a
m'endormir dans les delices de l'egoisme. Eh bien, ce souvenir restera
en nous comme une date romanesque dans l'histoire de nos amours; mais,
la nuit prochaine, il faut,
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