des merveilles de
ce monde, puisque je m'appliquais a faire une merveille de moi-meme.
Ne pouvais-je me contenter d'une humble fille de ma classe, qui m'eut
accepte tel que je suis, et qui m'eut aime naivement, saintement, et
sans rien concevoir de mieux que mon amour?
Et j'aurais ete heureux! tandis que je n'ai ete que prudent et
raisonnable; vous aviez mille fois raison de le penser. J'ai, mille fois
peut-etre, etouffe le cri de mon coeur, peut-etre ai-je passe mille
fois aupres de la femme qui m'eut revele le vrai de la vie. Je me suis
acharne a voir les dangers d'une passion prematuree; je n'ai pas compris
l'ivresse de ces dangers, et ce vaillant, ce genereux sacrifice de la
raison qui accepte la grande folie de l'amour, telle que Dieu nous l'a
donnee.
Je songeais ainsi en descendant de Tusculum, et travers les taillis de
chenes. Le rapide sentier, tout pave en polygones de lave, etait encore
une rue de la ville antique, et, sous les racines des arbres, je voyais
apparaitre des restes de constructions enfouies. Je passai devant le
couvent des Camaldules et devant la villa Mondragone, qui etait fermee,
et je rentrai a Piccolomini par des chemins etroits, encaisses, ou je
devins tout reveur, tout agite de mon probleme personnel.
Les objets exterieurs agissent sur moi d'une maniere, souveraine. Devant
un beau site, je m'oublie, je m'absente pour ainsi dire de moi-meme;
mais, quand je marche dans un endroit sombre et monotone, je m'interroge
et me querelle. Cela m'arrive, du moins, depuis quelque temps. Je
n'avais jamais tant pense a moi. Sera-ce un bien ou un mal? La
solitude que je suis venu chercher me rendra-t-elle sage ou insense?
C'est-a-dire, etais-je insense ou sage avant cette epreuve? Je crois que
nous nous acclimatons rapidement, au moral comme au physique, et que je
deviens deja Romain, c'est-a-dire porte a la vie de sensation plus
quia la vie de reflexion. Quand j'ai fait un effort pour savoir
si j'appartiendrai a l'une ou a l'autre, je suis bien tente de me
tranquilliser avec le _chi lo sa_ de la Mariuccia et du berger de
Tusculum.
XXIII
9 avril, villa Mondragone.
Je vous ecris au crayon dans des ruines. Toujours des ruines! J'aime
beaucoup l'endroit ou je suis; j'y peux passer la journee entiere dans
un immense palais abandonne, dont j'ai les clefs a ma ceinture. Mais
j'ai bien des choses a vous raconter, et je reprends mon recit ou je
l'ai laisse l'autre jour.
En dinant, pour ainsi
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