et ce nuage noir passait sur son ame. Therese
vit qu'il fallait le distraire jusqu'au dernier moment, et elle demanda au
batelier ce qu'il y avait encore a voir dans la baie.
--Il y a, repondit-il, l'ile Palmaria et la carriere de marbre _portor_.
Si vous voulez y aller, vous pourrez vous y embarquer. Le vapeur y passe
pour prendre la mer, car il s'arrete en face, a Porto-Venere, pour
recevoir des passagers ou des marchandises. Vous aurez tout le temps de
gagner son bord. Je reponds de tout.
Les deux amis se firent conduire a l'ile Palmaria.
C'est un bloc de marbre a pic sur la mer et qui s'abaisse en pente douce
et fertile du cote du golfe: il y a de ce cote quelques habitations a
mi-cote et deux villas sur le rivage. Cette ile est plantee, comme une
defense naturelle, a l'entree du golfe; dont la passe est fort etroite
entre l'ile et le petit port jadis consacre a Venus. De la le nom de
Porto-Venere.
Rien dans l'affreuse bourgade ne justifie ce nom poetique, mais sa
situation sur les rochers nus, battus de flots agites, car ce sont les
premiers flots de la veritable mer qui s'engouffrent dans la passe, est
des plus pittoresques. On ne saurait imaginer un decor plus frappant pour
caracteriser un nid de pirates. Les maisons, noires et miserables, rongees
par l'air salin, s'echelonnent, demesurement hautes, sur le roc inegal.
Pas une vitre qui ne soit brisee a ces petites fenetres, qui semblent des
yeux inquiets occupes a guetter une proie a l'horizon. Pas un mur qui ne
soit depouille de son ciment, tombant en grandes plaques comme des voiles
dechirees par la tempete. Pas une ligne d'aplomb dans ces constructions
appuyees les unes contre les autres et pres de crouler toutes ensemble.
Tout cela monte jusqu'a l'extremite du promontoire, ou tout cesse
brusquement, et que terminent un vieux fort tronque et l'aiguille d'un
petit clocher plante en vigie en face de l'immensite. Derriere ce tableau,
qui forme un plan detache sur les eaux marines, s'elevent d'enormes
rochers d'une teinte livide, dont la base, irisee par les reflets de la
mer, semble plonger dans quelque chose d'indecis et d'impalpable comme la
couleur du vide.
C'est de la carriere de marbre de l'ile Palmaria, de l'autre cote de
l'etroite passe, que Laurent et Therese contemplaient cet ensemble
pittoresque. Le soleil couchant jetait sur les premiers plans un ton
rougeatre qui confondait en une seule masse, homogene d'aspect, les
rochers, les vieux murs e
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