s. Maintenant il
renferme une mosquee dans laquelle est, dit-on, une tete humaine qui a des
yeux si enormes, qu'un homme passeroit aisement la sienne a travers leur
ouverture. Je ne puis assurer le fait, attendu que pour entrer dans la
mosquee il faut etre Sarrasin.
De Balbec nous allames a Hamos, et campames sur une riviere. Ce fut la que
je vis comment ils campent et tendent leurs pavillons. Les tentes ne sont
ni tres-hautes ni tres-grandes; de sorte qu'il ne faut qu'un homme pour les
dresser, et que six a huit personnes peuvent s'y tenir a l'aise pendant les
chaleurs du jour. Dans le cours de la journee ils en otent le bas, afin de
donner passage a l'air. La nuit, ils le remettent pour avoir plus chaud. Un
seul chameau en porte sept ou huit avec leurs mats. Il y en a de
tres-belles.
Mon compagnon, le mamelouck, et moi, qui n'en avions point, nous allames
nous etablir dans un jardin. Il y vint aussi deux Turquemans (Turcomans) de
Satalie, qui revenoient de la Mecque, et qui souperent avec nous. Mais
quand ces deux hommes me virent bien vetu, ayant bon cheval, belle epee,
bon tarquais, ils proposerent au mamelouck, ainsi que lui-meme me l'avoua
par la suite lorsque nous nous separames, de se defaire de moi, vu que
j'etois chretien et indigne d'etre dans leur compagnie. II repondit que,
puisque j'avois mange avec eux le pain et le sel, ce seroit un crime; que
leur loi le leur defendoit, et qu'apres tout Dieu faisoit les chretiens
comme les Sarrasins.
Neanmoins ils persisterent dans leur projet; et comme je temoignois le
desir de voir Halep, la ville la plus considerable de Syrie apres Damas,
ils me presserent de me joindre a eux. Moi qui ne savois rien de leur
dessein, j'acceptai; et je suis convaincu, aujourd'hui qu'ils ne vouloient
que me couper la gorge. Mais le mamelouck leur defendit de venir davantage
avec nous, et par-la il me sauva la vie.
Nous etions partis de Balbec deux heures avant le jour, et notre caravane
etoit compsee de quatre a cinq cents personnes, et de six ou sept cents
chameaux et mulets, parce qu'elle portoit beaucoup d'epices. Voici leur
maniere de se mettre en marche.
Il y a dans la troupe une tres-grande nacquaire (tres grosse timbale). Au
moment ou le chef veut qu'on parte, il fait frapper trois coups. Aussitot
tout le monde s'apprete, et a mesure que chacun est pret, il se met a la
file sans dire un seul mot: Et feront plus de bruit dix d'entre nous que
mil de ceux-la. On marche ain
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