l'enigme que nous
nous posions plus haut, au sujet de ces intelligences si superieures
a leur action et a leur oeuvre. Quand nous avons dit qu'il y a dans
l'atmosphere de cette periode du siecle quelque chose qui coupe et
attenue des talents, capables en d'autres epoques de monter au genie, et
quand M. Jouffroy a dit qu'il y a dans l'air qu'on respire quelque chose
qui procure aux esprits l'etendue, ce n'est, je le crains, qu'un
meme fait diversement exprime; car cette etendue si precoce, cette
intelligence ouverte et traversee, qui se laisse, faire et accueille
tour a tour ou a la fois toutes choses, est l'inverse de la
concentration necessaire au genie, qui, si elargi qu'il soit, tient
toujours de l'allure du glaive.
Mais voila que nous sommes deja en plein a peindre l'homme, et nous
n'avons pas encore donne l'idee de sa philosophie, de son role dans la
science, de la methode qu'il y apporte, et des resultats dont il peut
l'avoir enrichie. C'est que nous ne toucherons qu'a peine ces endroits
reguliers sur lesquels notre incompetence est grande; d'autres les
traiteront ou les ont assez traites. M. Leroux, dans un bien remarquable
article[109], a entame, avec le philosophe et le psychologiste, une
discussion capitale qu'il continuera. M. Jules Le Chevalier[110] a fait
egalement. Et puis, nous l'avouerons, comme science, la philosophie nous
affecte de moins en moins: qu'il nous suffise d'y voir toujours un noble
et necessaire exercice, une gymnastique de la pensee que doit pratiquer
pendant un temps toute vigoureuse jeunesse. La philosophie est
perpetuellement a recommencer pour chaque generation depuis trois mille
ans, et elle est bonne en cela; c'est une exploration vers les hauts
lieux, loin des objets voisins qui offusquent; elle replace sur nos
tetes a leur vrai point les questions eternelles, mais elle ne les
resout et ne les rapproche jamais. Il est, avec elle, nombre de verites
de detail, de racines salutaires que le pied rencontre en chemin; mais
dans la pretention principale qui la constitue, et qui s'adresse a
l'abime infini du ciel, la philosophie n'aboutit pas. Aussi je lui dirai
a peu pres comme Paul-Louis Courier disait de l'histoire: "Pourvu que ce
soit exprime a merveille, et qu'il y ait bien des verites, de saines et
precieuses observations de detail, il m'est egal a bord de quel systeme
et a la suite de quelle methode tout cela est embarque." Ce n'est donc
pas le philosophe eclectique, le regulateur d
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