moral sur la vie; des vers qui celebrent l'Assemblee constituante;
une ebauche de poeme sur les sciences naturelles; un commencement assez
long d'une grande epopee intitulee _l'Americide_, dont le heros etait
Christophe Colomb. Chacun de ces commencements, d'ordinaire, forme deux
ou trois feuillets de sa grosse ecriture d'ecolier, de cette ecriture
qui avait comme peur sans cesse de ne pas etre assez lisible; et la
tirade s'arrete brusquement, coupee le plus souvent par des _x_ et _y_,
par la _formule generale pour former immediatement toutes les puissances
d'un polynome quelconque_: je ne fais que copier. Vers ce temps, il
construisait aussi une espece de langue philosophique dans laquelle il
fit des vers; mais on a la-dessus trop peu de donnees pour en parler. Ce
qu'il faut seulement conclure de cet amas de vers et de prose ou manque,
non pas la facilite, mais l'art, ce que prouve cette litterature
poetique, blasonnee d'algebre, c'est l'etonnante variete, l'exuberance
et inquietude en tous sens de ce cerveau de vingt et un ans, dont la
direction definitive n'etait pas trouvee. Le soulevement s'essayait
sur tous les points et ne se faisait jour sur aucun. Mais un sentiment
superieur, le sentiment le plus cher et le plus universel de la
jeunesse, manquait encore, et le coeur allait eclater.
Je trouve sur une feuille, des longtemps jaunie, ces lignes tracees. En
les transcrivant, je ne me permets point d'en alterer un seul mot, non
plus que pour toutes les citations qui suivront. Le jeune homme disait:
"Parvenu a l'age ou les lois me rendaient maitre de moi-meme, mon
coeur soupirait tout bas de l'etre encore. Libre et insensible
jusqu'a cet age, il s'ennuyait de son oisivete. Eleve dans une
solitude presque entiere, l'etude et la lecture, qui avaient fait
si longtemps mes plus cheres delices, me laissaient tomber dans une
apathie que je n'avais jamais ressentie, et le cri de la nature
repandait dans mon ame une inquietude vague et insupportable. Un
jour que je me promenais apres le coucher du soleil, le long d'un
ruisseau solitaire..."
Le fragment s'arrete brusquement ici. Que vit-il le long de ce ruisseau?
Un autre cahier complet de souvenirs ne nous laisse point en doute, et
sous le titre: _Amorum_, contient, jour par jour, toute une histoire
naive de ses sentiments, de son amour, de son mariage, et va jusqu'a la
mort de l'objet aime. Qui le croirait? ou plutot, en y reflechissa
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