n se figurerait difficilement a quel
point allait la preoccupation morale, la sollicitude passionnee qui
remplissait ses lettres de chaque jour. Il ecrit regulierement par
chaque voyage du messager, la poste etant trop couteuse. Ces details
d'economie, de tendresse, l'avarice ou il est de son temps, l'effusion
de ses souvenirs et de ses inquietudes, l'espoir, dans lequel il vit,
d'aller a Lyon a quelque courte vacance de Paques, tout cela se mele,
d'une bien piquante et touchante facon, a son memoire de mathematiques,
au recit de ses experiences chimiques, aux petites maladresses qui
parfois y eclatent, aux petites supercheries, dit-il, a l'aide
desquelles il les repare. Mais il faut citer la promenade entiere d'un
de ses grands jours de conge: dans le commencement de la lettre, il
vient de s'ecrier comme un ecolier: _Quand viendront les vacances!_
"... J'en etais a cette exclamation quand j'ai pris tout a coup
une resolution qui te paraitra peut-etre singuliere. J'ai voulu
retourner avec le paquet de tes lettres dans le pre, derriere
l'hopital, ou j'avais ete les lire avant mes voyages de Lyon, avec
tant de plaisir. J'y voulais retrouver de doux souvenirs dont
j'avais, ce jour-la, fait provision, et j'en ai recueilli au
contraire de bien plus doux pour une autre fois. Que tes lettres
sont douces a lire! il faut avoir ton ame pour ecrire des choses qui
vont si bien au coeur, sans le vouloir, a ce qu'il semble. Je suis
reste jusqu'a deux heures assis sous un arbre, un joli pre a droite,
la riviere, ou flottaient d'aimables canards, a gauche et devant
moi. Derriere etait le batiment de l'hopital. Tu concois que j'avais
pris la precaution de dire chez madame Beauregard, en quittant ma
lettre pour aller a midi faire cette partie, que je n'irais pas
diner aujourd'hui chez elle. Elle croit que je dine en ville; mais,
comme j'avais bien dejeune, je m'en suis mieux trouve de ne diner
que d'amour. A deux heures, je me sentais si calme et l'esprit si
a mon aise, au lieu de l'ennui qui m'oppressait ce matin, que j'ai
voulu me promener et herboriser. J'ai remonte la Ressouse dans les
pres, et, en continuant toujours d'en cotoyer le bord, je suis
arrive a vingt pas d'un bois charmant, que je voyais dans le
lointain a une demi-lieue de la ville et que j'avais bien envie de
parcourir. Arrive la, la riviere, par un detour subit, m'a ote toute
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