souvent
figure, en effet, sur un plateau eleve des montagnes, avec moins de
soleil, il est vrai, avec un horizon moins meuble de realites et
d'images, bien qu'avec autant d'air dans les cieux. A propos de son
cours sur _la Destinee humaine_, ou il semblait n'indiquer qu'a peine
aux jeunes ames inquietes un sentier religieux qu'on aurait voulu alors
lui entendre nommer, on disait dans un article du _Globe_ de decembre
1830: "Comme un pasteur solitaire, melancoliquement amoureux du desert
et de la nuit, il demeure immobile et debout sur son tertre sans
verdure; mais du geste et de la voix il pousse le troupeau qui se presse
a ses pieds et qui a besoin d'abri, il le pousse a tout hasard au
bercail, du seul cote ou il peut y en avoir un."
Le propre de M. Jouffroy, c'est bien de tout voir de la montagne; s'il
envisage l'histoire, s'il decrit geographiquement les lieux, c'est par
masses et formes generales, sans scrupule des details, et avec une sorte
de verite ou d'illusion toujours majestueuse. "Les evenements, a-t-il
dit quelque part, sont si absolument determines par les idees, et les
idees se succedent et s'enchainent d'une maniere si fatale, que la seule
chose dont le philosophe puisse etre tente, c'est de se croiser les bras
et de regarder s'accomplir des revolutions auxquelles les hommes peuvent
si peu." Voila tout entier dans cet aveu notre philosophe-pasteur: voir,
regarder, assister, comprendre, expliquer. Aussi cette promenade sur la
Dole est-elle une merveilleuse figure de la destinee de M. Jouffroy.
Chacun, en se souvenant bien, chacun a eu de la sorte son Sinai dans sa
jeunesse, sa mysterieuse montagne ou la destinee s'est comme offerte aux
yeux, mieux eclairee seulement qu'elle ne le sera jamais depuis. Nul
ne le sait que nous; et ce que le monde admire ensuite de nos oeuvres,
n'est guere que le reflet affaibli et l'ombre d'un sublime moment
envole.
Dans cette ascension de la Dole, j'ai oublie, pour completer la scene,
de dire qu'outre les deux amis et le patre, il y avait la un vieux
capitaine de leur connaissance, redevenu campagnard, revolutionnaire de
vieille souche et grand lecteur de Voltaire. Comme il redescendait le
premier dans le sentier indique, et qu'il voyait les deux amis avoir
peine a se detacher du sommet et se retourner encore, il les gourmandait
de leur lenteur, en criant: "Quand on a vu, on a vu!" Ce capitaine
voltairien, pres du patre, dut paraitre au philosophe le bon sens
goguenard et
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