evolution, devores par elle, mais pieux jusqu'au bout, et ne la
maudissant pas!
Parmi ses notes dernieres et ses instructions d'economie a sa femme, je
trouve encore ces lignes expressives, qui se rapportent a ce fils de
qui il attendait tout: "Il s'en faut beaucoup, ma chere amie, que je te
laisse riche, et meme une aisance ordinaire; tu ne peux l'imputer a ma
mauvaise conduite ni a aucune dissipation. Ma plus grande depense a ete
l'achat des livres et des instruments de geometrie dont notre fils ne
pouvait se passer pour son instruction; mais cette depense meme etait
une sage economie, puisqu'il n'a jamais eu d'autre maitre que lui-meme."
Cette mort fut un coup affreux pour le jeune homme, et sa douleur ou
plutot sa stupeur suspendit et opprima pendant quelque temps toutes ses
facultes. Il etait tombe dans une espece d'idiotisme, et passait sa
journee a faire de petits tas de sable, sans que plus rien de savant
s'y tracat. Il ne sortit de son etat morne que par la botanique, cette
science innocente dont le charme le reprit. Les Lettres de Jean-Jacques
sur ce sujet lui tomberent un jour sous la main, et le remirent sur
la trace d'un gout deja ancien. Ce fut bientot un enthousiasme, un
entrainement sans bornes; car rien ne s'ebranlait a demi dans cet esprit
aux pentes rapides. Vers ce meme temps, par une coincidence heureuse, un
_Corpus poetarum latinorum_, ouvert au hasard, lui offrit quelques vers
d'Horace dont l'harmonie, dans sa douleur, le transporta, et lui revela
la muse latine. C'etait l'ode a Licinius et cette strophe:
Saepius ventis agitatur ingens
Pinus, et celsae graviore casu
Decidunt turres, feriuntque summos
Fulmina montes.
Il se remit des lors au latin, qu'il savait peu; il se prit aux poetes
les plus difficiles, qu'il embrassa vivement. Ce gout, cette science des
poetes se mela passionnement a sa botanique, et devint comme un chant
perpetuel avec lequel il accompagnait ses courses vagabondes. Il errait
tout le jour par les bois et les campagnes, herborisant, recitant
aux vents des vers latins dont il s'enchantait, veritable magie qui
endormait ses douleurs. Au retour, le savant reparaissait, et il
rangeait les plantes cueillies avec leurs racines, il les replantait
dans un petit jardin, observant l'ordre des familles naturelles. Ces
annees de 94 a 97 furent toutes poetiques, comme celles qui avaient
precede avaient ete principalement adonnees a la geometrie et aux
mathematiques. Nous le
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