ls allaient
amasser. Ils mangerent et burent cependant avec appetit, et causerent
avec plaisir. Ce qui augmentait encore le sentiment de joie et
d'enthousiasme qui leur gonflait le coeur, c'etait la conversation des
deux messieurs, leurs voisins, qui avaient fini de souper. Ceux-ci se
racontaient a haute voix leurs aventures dans les placers; ils etaient
Francais; le rhum qu'ils buvaient par grands verres avait assurement
monte leur imagination, car ils nommaient des gens connus d'eux, qui
avaient trouve des blocs d'or pesant plusieurs livres, et parlaient de
mines ou l'on avait trouve en peu de mois pour quelques centaines de
mille francs d'or.
Victor et ses amis s'etaient fait servir une bouteille de vin d'Espagne.
La liqueur spiritueuse echauffa peu a peu leurs coeurs, et leur montra
un avenir en rose.... Tout souci les quitta, et ils parlerent gaiement
de leur prochain voyage aux placers, des richesses qu'ils en
rapporteraient, de leur retour triomphant en Belgique, et surtout de
ce qu'ils ecriraient le lendemain a leurs parents et amis, pour annoncer
leur arrivee dans le pays de l'or. Ils ne parleraient pas beaucoup des
maux soufferts, ni de la vie sauvage des habitants de San-Francisco, car
il ne fallait pas effrayer les parents; au contraire, il fallait montrer
tout en beau, pour rejouir les amis, a Anvers.
Un grand tumulte s'eleva en ce moment a l'extremite de la table; deux
joueurs semblaient en discussion pour un coup de des. Ils frappaient du
poing sur la table, ils juraient et se menacaient avec une fureur
croissante; mais les Flamands ne comprirent pas ce qu'ils disaient. Tout
a coup, l'un d'eux se leva de la table et mit en poche le monceau d'or
conteste; mais l'autre, rugissant comme un lion, sauta sur lui, le
renversa en arriere et lui mit un genou sur la poitrine en criant qu'il
l'etranglerait s'il ne rendait pas l'or. Celui qui etait tombe, restant
muet, se demenait et se tordait les membres avec tant de rage que
l'ecume lui sortait de la bouche.
--Rends! rends! rugissait l'autre.
Et, comme il ne recut pour reponse de son adversaire qu'une insulte
grossiere, il etendit une de ses mains vers la table, prit un long
couteau et l'appuya, en prononcant d'horribles menaces, sur la poitrine
de son ennemi.
Les Flamands avaient saute debout, pales d'effroi et tremblants a la
prevision d'un meurtre. Donat Kwik, lorsqu'il vit la pointe du couteau
sur le sein du malheureux joueur, fut emporte par un sen
|