ar la sonnette de l'interieur; il a tire le cordon comme il fait
machinalement dans ce temps de cholera, ou, a toute heure, on sort pour
chercher ou porter des secours. Il n'a vu sortir personne, il a entendu
refermer la porte. Et moi je n'ai rien entendu. J'etais la, etendu
comme un cadavre, pendant qu'elle accomplissait sa fuite, et qu'elle
m'arrachait le coeur de la poitrine pour me laisser a jamais vide
d'amour et de bonheur."
Apres le douloureux silence ou nous plongea ce recit, nous nous livrames
a diverses conjectures. Horace etait persuade que Marthe ne pouvait pas
survivre a cette separation, et que si elle avait emporte ses hardes,
c'etait pour donner a son depart un air de voyage, et mieux cacher son
projet de suicide. Je ne partageais plus sa terreur. Il me semblait voir
dans toute la conduite de Marthe un sentiment de devoir et un instinct
d'amour maternel qui devaient nous rassurer. Quant a Arsene, apres que
nous eumes passe la journee en courses et en recherches minutieuses
autant qu'inutiles, il se separa d'Horace, en lui serrant la main d'un
air contraint, mais solennel. Horace etait desespere. "Il faut, lui dit
Arsene, avoir plus de confiance en Dieu. Quelque chose me dit au fond
de l'ame qu'il n'a pas abandonne la plus parfaite de ses creatures, et
qu'il veille sur elle."
Horace me supplia de ne pas le laisser seul. Etant oblige de remplir mes
devoirs envers les victimes de l'epidemie, je ne pus passer avec lui
qu'une partie de la nuit. Laraviniere avait couru toute la journee, de
son cote, pour retrouver quelque indice de Marthe. Nous attendions avec
impatience qu'il fut rentre. Il rentra a une heure du matin sans avoir
ete plus heureux que nous; mais il trouva chez lui quelques lignes
de Marthe, que la poste avait apportees dans la soiree. "Vous m'avez
temoigne tant d'interet et d'amitie, lui disait-elle, que je ne veux pas
vous quitter sans vous dire adieu. Je vous demande un dernier service:
c'est de rassurer Horace sur mon compte, et de lui jurer que ma position
ne doit lui causer d'inquietude, ni au physique ni au moral. Je crois en
Dieu, c'est ce que je puis dire de mieux. Dites-le aussi a _mon frere_
Paul. Il le comprendra."
Ce billet, en rendant a Horace une sorte de tranquillite, reveilla ses
agitations sur un autre point. La jalousie revint s'emparer de lui. Il
trouva dans les derniers mots que Marthe avait traces un avertissement
et comme une promesse detournee pour Paul Arsene. "Elle
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