s peu a peu Horace s'anima. Je
le forcai de boire un peu de vin pour reparer ses forces et retablir
l'equilibre entre le principe sanguin et le principe nerveux. Comme il
etait ordinairement sobre dans ses boissons, il eprouva plus rapidement
que je ne m'y attendais les effets de deux ou trois verres de bordeaux,
et alors il devint expansif et plein d'energie. Il nous temoigna a
tous trois un redoublement d'amitie que nous accueillimes d'abord
avec sympathie, mais qui bientot deplut un peu a Paul, et beaucoup a
Laraviniere. Horace ne s'en apercut pas, et continua a s'enthousiasmer,
a les proner l'un et l'autre sans qu'ils sussent trop a propos de quoi.
Insensiblement le souvenir de Marthe venant se meler a son effusion, il
se livra a l'esperance de la retrouver, jeta au ciel ce brulant defi, se
vanta de l'apaiser, de la rendre heureuse, et, pour nous faire partager
sa confiance, nous entretint de la passion qu'il avait su lui inspirer
et nous en peignit l'ardeur et le devouement avec un orgueil peu
convenable. Arsene palit plusieurs fois en entendant parler de la beaute
et des graces ineffables de Marthe en style de roman, avec une chaleur
pleine de vanite. Le fait est qu'Horace, retenu jusqu'alors par le peu
d'encouragement et d'approbation que nous avions donne a son triomphe
sur Marthe, avait souffert de le savourer toujours en silence.
Maintenant qu'un interet commun nous avait fortuitement conduits a lui
parler a coeur ouvert, a l'interroger, a l'ecouter et a discuter avec
lui sur ce sujet delicat, maintenant qu'il voyait toute l'estime
et toute l'affection que nous portions a celle qu'il avait si mal
appreciee, il eprouvait une vive satisfaction d'amour-propre a nous
entretenir d'elle, et a repasser en lui-meme la valeur du tresor qu'il
venait de perdre. C'etait un pretexte pour faire briller ce tresor
devant nous sans fatuite coupable, et il etait facile de voir qu'il
etait a demi console de son desastre par le droit qu'il en prenait de
rappeler son bonheur. Quoique Arsene fut au supplice, il l'ecouta, et
l'aida meme a cet epanchement imprudent avec un courage etrange. Quoique
le sang lui montat au visage a chaque instant, il semblait etre resolu a
etudier Marthe dans l'imagination d'Horace comme dans un miroir qui la
lui revelait sous une face nouvelle. Il voulait surprendre le secret de
cet amour que son rival avait eu le bonheur d'inspirer. Il savait
bien comment il l'avait perdu, car il connaissait le cote seri
|