t tomber foudroye. Il fut quelques instants sans pouvoir
repondre. Ses dents claquaient dans sa bouche, et il regardait Horace
d'un air hebete, en retenant dans sa main froide et fortement contractee
la main que ce dernier lui avait tendue. Il ne fit aucune reflexion.
Un melange d'effroi et d'espoir le jetait dans une sorte de delire
farouche. Il se mit a courir avec nous. Nous allames a la Morgue; Horace
avait eu deja la pensee d'y aller; il n'en avait pas eu le courage. Nous
y entrames sans lui; il s'arreta sous le portique, et s'appuya contre la
grille pour ne pas tomber, mais evitant de tourner ses regards vers cet
affreux spectacle, qu'il n'aurait pu supporter s'il lui eut offert parmi
les victimes de la misere et des passions l'objet de nos recherches.
Nous penetrames dans la salle, ou plusieurs cadavres, couches sur les
tables fatales, offraient aux regards la plus hideuse plaie sociale, la
mort violente dans toute son horreur, la preuve et la consequence de
l'abandon, du crime ou du desespoir. Arsene sembla retrouver son courage
au moment ou celui d'Horace faiblissait; il s'approcha d'une femme qui
reposait la avec le cadavre de son enfant enlace au sien; il souleva
d'une main ferme les cheveux noirs que le vent rabattait sur le visage
de la morte, et comme si sa vue eut ete troublee par un nuage epais, il
se pencha sur cette face livide, la contempla un instant, et la laissant
retomber avec une indifference qui, certes, ne lui etait pas habituelle:
"Non," dit-il d'une voix forte; et il m'entraina pour repeter vite a
Horace ce _non_", qui devait le soulager momentanement.
Au bout de quelques pas, Arsene s'arretant:
"Montrez-moi encore, lui dit-il, le billet qu'elle vous a laisse."
Ce billet, Horace nous l'avait communique. Il le remit de nouveau a
Paul, qui le relut attentivement. Il etait ainsi concu:
"Rassurez-vous, cher Horace, je m'etais trompee. Vous n'aurez pas les
charges et les ennuis de la paternite; mais apres tout ce que vous
m'avez dit depuis quinze jours, j'ai compris que notre union ne pouvait
pas durer sans faire votre malheur et ma honte. Il y a longtemps que
nous avons du nous preparer mutuellement a cette separation, qui vous
affligera, j'en suis sure, mais a laquelle vous vous resignerez, en
songeant que nous nous devions mutuellement cet acte de courage et de
raison. Adieu pour toujours. Ne me cherchez pas, ce serait inutile. Ne
vous inquietez pas de moi, je suis forte et calme desorm
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