domestiques des
nouveaux maitres?
--Mauvais, repondit Anfry; grossiers, mauvaises langues. Mauvais,
repeta-t-il en soupirant.
MADAME ANFRY
Blaise craint que les maitres ne soient guere meilleurs.
ANFRY
Cela se pourrait bien! Ce ne sera pas comme avec les anciens qui n'y
sont plus. Blaise, mon garcon, ajouta-t-il en se tournant vers lui, ne
va pas au chateau; n'y va que si on te demande, et restes-y le moins
possible.
BLAISE
C'est bien ce que je compte faire, papa; je n'ai pas du tout envie
d'y aller. Quand mon cher petit M. Jacques y demeurait, c'etait bien
different; je l'aimais et il voulait toujours m'avoir... Je ne le
reverrai peut-etre jamais! Mon Dieu! mon Dieu! que c'est donc triste
d'aimer des gens qui vous quittent."
Et le pauvre Blaise versa quelques larmes.
ANFRY
Allons, Blaise, du courage, mon garcon! Qui sait? tu le reverras
peut-etre plus tot que tu ne penses. M. de Berne m'a bien promis qu'il
tacherait de me placer dans son autre terre, ou il va habiter.
BLAISE
Et puis il la vendra encore, et il nous faudra encore changer de
maitres.
ANFRY
Mais non; tu ne sais pas et tu parles comme si tu savais. L'autre
terre est une terre de famille, qui ne doit jamais etre vendue; tandis
que celle-ci etait de la famille de Madame, et ils ne pouvaient pas
habiter deux terres a la fois. Est-ce vrai?
--A quoi sert de parler de tout cela? dit Mme Anfry. Mangeons notre
diner; veux-tu du fromage, Blaisot, en attendant la salade aux oeufs
durs?"
Blaise accepta le fromage, puis la salade, et, tout en soupirant, il
mangea de bon appetit, car, a onze ans, on pleure et on mange tout a
la fois.
Le reste du jour se passa tranquillement pour la famille du concierge;
personne ne les demanda. Quand la nuit fut venue, ils mirent les
verrous a la grille, le concierge fit sa tournee pour voir si tout
etait bien ferme, et il rentra pour se coucher. Sa femme et son fils
dormaient deja profondement.
II
PREMIERE VISITE AU CHATEAU
"M. le comte demande le concierge", dit d'une voix imperieuse un des
domestiques du chateau.
C'etait de grand matin. Mme Anfry faisait son menage, Blaise nettoyait
la vaisselle, et Anfry etait alle scier du bois pour les fourneaux de
la cuisine et de la lingerie.
Le domestique avait ouvert bruyamment la porte et restait sur le
seuil; il regardait le modeste mobilier du concierge.
"Votre mobilier ne fait pas honneur a vos anciens maitres, dit le
valet
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