HELENE
Blaise et moi, nous les cherchons partout. Mon Dieu, mon Dieu, est-ce
que Jules a ete assez mechant pour les jeter a la mare?
La pauvre Helene, sans attendre la reponse de son pere, courut du cote
de la mare, appelant Blaise de toutes ses forces; en approchant de la
mare, elle le vit tachant, avec une longue perche, d'attirer a lui
quelque chose qu'elle ne pouvait encore distinguer; aussitot qu'il
apercut Helene, il lui cria:
"Venez vite, Mademoiselle; venez m'aider a faire revivre les pauvres
poulets que je viens de trouver dans la mare. J'en ai retire trois;
je cherche a atteindre le quatrieme. Le voici, je crois... Non, il a
encore coule sous ma perche... Tenez, le voila! Je l'ai, pour cette
fois." Et, se baissant, il saisit le quatrieme Creve-Coeur, qu'il
avait rapproche du bord avec sa perche.
Helene pleurait pres de ses pauvres poulets, couches a terre sans
mouvement, le bec ouvert, les ailes etendues, les yeux entr'ouverts.
Blaise les porta sur l'herbe, les secha le mieux qu'il put, avec de
la mousse, avec son mouchoir et celui d'Helene; mais il eut beau les
frotter, les rouler sur le sable chaud, les poulets resterent
sans vie. Voyant tous leurs efforts inutiles, Helene et Blaise se
releverent.
"Que ferons-nous de ces pauvres petites betes? dit Blaise. Des poulets
si jeunes, ce n'est pas bon a manger; d'ailleurs, ca fait mal au coeur
de manger des betes qu'on a soignees.
--Il faut les enterrer, dit tristement Helene; ne les laissons pas
ici; les chats les devoreraient.
--Ecoutez, Mademoiselle, essayons encore une chose; j'ai entendu dire
a un medecin qu'on faisait revenir des noyes en les couvrant de cendre
tiede; il y a un grand tonneau dans la buanderie, ici tout pres:
plongeons-les dedans jusqu'a demain; en tout cas, cela ne leur fera
pas de mal, et peut-etre... qui sait,... la cendre tiede, en les
rechauffant, les ranimera-t-elle.
--Essayons, dit Helene; il sera toujours temps de les enterrer
demain."
Helene et Blaise prirent chacun deux poulets; ils les porterent a la
buanderie, ou ils trouverent effectivement un tonneau de cendre; on
venait d'en remettre de toute chaude. Blaise creusa quatre trous,
Helene y mit les poulets, Blaise les recouvrit de cendre jusqu'a la
tete, ne laissant passer que le bec et les yeux. Ils fermerent ensuite
la buanderie et s'en allerent chacun chez eux, Helene fort triste de
la mort de ses jolis Creve-Coeur, et Blaise fort triste du chagrin
d'Helen
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