ous le gronderez s'il quitte son
travail.
--Va jouer, Blaise, dit M. de Trenilly, tu travailleras un autre jour.
--Mais, Monsieur le comte...
--Va donc, quand je te le dis, reprit M. de Trenilly avec quelque
impatience: il est bon d'aimer a travailler, mais il faut aussi savoir
jouer; chaque chose en son temps."
Blaise n'osa pas repliquer et suivit a contre-coeur et a pas lents
Jules qui courait a la ferme pour voir faire les boulettes et la soupe
de l'elephant.
"Blaise, Blaise, depeche-toi; viens voir tout ce qu'on met dans les
boulettes de l'elephant."
Blaise ne se depechait pas: quand il arriva, les boulettes etaient a
moitie faites; c'etaient des boules, grosses comme des melons; dans
chacune d'elles il y avait douze oeufs, une bouteille de lait, une
livre de beurre et deux livres de pain; tout cela etait mele, petri et
roule. La soupe se composait d'un demi-tonneau d'eau dans laquelle on
faisait cuire deux enormes paniers de choux, de carottes, de navets,
de pommes de terre, avec une forte poignee de sel et une livre de
beurre.
"Cet elephant doit couter cher a nourrir, dit Blaise, il mange a un
seul repas ce qui nous suffirait pour huit jours a papa, maman et moi.
JULES
Tu vois bien qu'il n'y avait pas de viande; il vous faut de la viande
pour vivre, je suppose.
BLAISE
De la viande, Monsieur Jules! nous n'en mangeons que le dimanche, et
il ne nous en faut pas beaucoup; avec un morceau gros comme le poing
nous en avons de reste pour le lendemain.
--Pas possible! s'ecria Jules avec etonnement. Moi, je ne mange que de
la viande; que manges-tu donc les jours de la semaine?
BLAISE
Du fromage, un oeuf dur, des legumes, avec du pain, bien entendu.
Quant au pain, j'en ai tant que j'en veux.
JULES
Ah! bien, moi, si on ne me donnait pas de viande, je ne mangerais rien
du tout.
BLAISE
Ce serait tant pis pour vous, Monsieur Jules, car vous souffririez de
la faim; et quand on a faim on trouve bon tout ce qui se mange. Mais
voyez, voila qu'on porte a manger a l'elephant; approchons pour le
voir avaler ses boulettes."
Jules courut a la grange; il voulut entrer.
"N'entrez pas, mon petit monsieur, lui dit le gardien; quand
l'elephant va manger et pendant qu'il mange, il n'est pas commode; il
pourrait vous faire du mal.
--C'est ennuyeux, dit Jules en tapant du pied; j'aurais voulu le voir
quand il mange.
--Tenez, Monsieur Jules, dit Blaise, montez sur ce banc de pierre qui
est
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