en ricanant; si M. le comte passait par ici, il vous ferait bien
vite changer tout cela.
--Qu'est-ce que vous trouvez a mon mobilier qui parle contre les
anciens maitres? repondit vivement Mme Anfry. Est-ce qu'il y manque
quelque chose? Tout n'est-il pas en bon etat? C'etait de bons maitres,
ceux qui n'y sont plus, et je n'en demande pas de meilleurs au bon
Dieu.
LE DOMESTIQUE
Ha! ha! le bon Dieu! Comme s'il se melait d'un concierge et de son
mobilier.
MADAME ANFRY
Le bon Dieu se mele de tout, et d'un pauvre concierge tout comme d'un
prince et d'un roi; et je n'entends pas qu'on se raille du bon Dieu
chez moi, entendez-vous bien!
LE DOMESTIQUE
Voyons, voyons, Madame la concierge, il ne faut pas vous emporter pour
un mot dit en plaisanterie; mais M. le comte demande le concierge et
je ne le vois pas ici.
MADAME ANFRY
Il est au chateau a scier du bois; allez le chercher la-bas, vous lui
ferez la commission.
LE DOMESTIQUE
Si vous y envoyiez votre garcon, cela me donnerait le temps d'aller
faire un tour au village et de faire connaissance avec les cafes.
MADAME ANFRY.
Mon garcon n'a que faire au chateau; on lui a dit hier qu'on n'y
entrait pas en blouse; il ne se mettra pas en prince pour y aller, et
il n'ira pas.
LE DOMESTIQUE.
Vous etes maussade, Madame la concierge; mais prenez-y garde, on
pourrait bien chercher a vous remplacer et a vous faire partir.
MADAME ANFRY
Comme vous voudrez. Si les maitres sont comme les valets, je ne tiens
pas a y rester; nous sommes connus dans le pays, et nous ne manquerons
pas de travail ni de place, mon mari et moi."
Le domestique vit qu'il n'y avait rien a gagner en continuant la
conversation; il se retira en grommelant, et remonta lentement
l'avenue du chateau. Il trouva le concierge au bucher, comme le lui
avait dit Mme Anfry.
"M. le comte vous demande, lui dit-il brusquement.
--Je ne suis guere en toilette pour me presenter chez M. le comte,
repondit Anfry.
--Puisqu'il vous demande, c'est qu'il vous veut comme vous etes,
reprit le domestique d'un ton bourru.
--C'est vrai", se borna a repondre Anfry.
Et, laissant son travail, il remit sa veste, secoua la poussiere de
ses pieds, et se dirigea vers le chateau.
"Ou allez-vous? lui dit rudement un domestique qui balayait
l'escalier.
--M. le comte m'a fait demander.
--Est-ce bien sur?... Passez alors, quoique vous soyez bien mal vetu
pour paraitre devant M. le comte.
--Qu'a
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