l; le nom individuel d'animal
serait-il donc le nom de plusieurs? l'individu serait-il attribuable a
plusieurs? Cela ne se peut. Mais comme animal ne peut plus se dire de
plusieurs, mais de chacun, il n'y a plus de genre, ou plutot tout est
renverse, c'est l'individu ou le non-universel qui prend la place de
l'universel, c'est ce qui ne peut s'affirmer de plusieurs qui s'affirme
de plusieurs, et c'est une pluralite ou chacun s'affirme de plusieurs
que l'on appelle l'individu. Ce systeme, qu'Abelard explique mal, nous
parait au fond un veritable nominalisme, qui ne peut etre considere
nomme admettant la realite des universaux qu'en ce qu'il attribue les
universaux comme noms particuliers a des individus reels. Il consiste
a etablir que lorsqu'on affirme que ceci est un animal, on entend
simplement que cet etre determine est substance animee, sensible, soit
qu'il ait ou n'ait point de semblables, et puis, qu'apres avoir reconnu
ce caractere particulier dans plusieurs individus determines, on dit de
plusieurs qu'ils sont des animaux, c'est-a-dire que l'on fait
collection d'individus, ayant tous et chacun pour caractere particulier
l'_animalite_, et qu'ainsi c'est une propriete de chacun d'etre animal,
une propriete de plusieurs d'etre animaux: voila la propriete de
l'universel et la propriete du particulier. Ce systeme, qui semble
un systeme de pur sens commun, serait, et non sans raison, traite de
nominalisme par les modernes; mais Abelard le classait dans le realisme,
parce que de son temps le nominalisme ne consistait pas a fonder les
noms generaux sur la realite exclusive des individus, mais a dire
litteralement que les universaux ne sont que des mots.
Abelard oppose et semble preferer a ces doctrines un systeme dont nous
avons deja entendu parler, mais qui jusqu'ici nous etait inconnu. On a
vu que Jean de Salisbury signale par deux fois une doctrine qui rapporte
tout aux discours (_sermonibus_), et il ajoute que _son Abelard cheri_
s'y est laisse prendre[105]. Quelle etait cette doctrine? Les auteurs se
sont pose cette question et n'ont pu la resoudre. Nous-meme, nous
nous sommes longtemps demande en quoi elle pouvait differer du pur
nominalisme, extremite qu'Abelard s'est montre si jaloux d'eviter.
Cependant le texte de Jean de Salisbury est formel, et il est encore
confirme par des vers peu connus, mais tres-expressifs. Un manuscrit de
la bibliotheque d'Oxford contient une epitaphe d'Abelard, dans laquelle,
apres d
|