les generations qui
n'avaient pas donne en 89 etaient avides de mettre la main aussi a
quelque chose: on etait lance, et chacun allait rencherissant. La
Fayette (dans ses _Souvenirs en sortant de prison_[80]) remarque, il est
vrai, qu'on a pousse un peu loin le fatalisme dans les jugements sur la
Revolution francaise, et cette observation, chez lui precoce, anterieure
aux systemes historiques d'aujourd'hui, bien autrement fatalistes,
rentre trop dans ce que je crois vrai pour que je ne cite pas ses
paroles: "De meme, dit-il, qu'autrefois l'histoire rapportait tout a
quelques hommes, la mode aujourd'hui est de tout attribuer a la force
des choses, a l'enchainement des faits, a la marche des idees: on
accorde le moins possible aux influences individuelles. Ce nouvel
extreme, indique par Fox dans son ouvrage posthume, a le merite de
fournir a la philosophie de belles generalites, a la litterature des
rapprochements brillants, a la mediocrite une merveilleuse consolation.
Personne ne connait et ne respecte plus que moi la puissance de
l'opinion, de la culture morale et des connaissances politiques; je
pense meme que, dans une societe bien constituee, l'homme d'Etat n'a
besoin que de probite et de bon sens; mais il me parait impossible
de meconnaitre, surtout dans les temps de trouble et de reaction, le
rapport necessaire des evenements avec les principaux moteurs. Et, par
exemple, si le general Lee, qui n'etait qu'un Anglais mecontent, avait
obtenu le commandement donne au grand citoyen Washington, il est
probable que la revolution americaine eut fini par se borner a un traite
avantageux avec la mere-patrie..." Il continue de la sorte a eclaircir
sa pensee par des exemples. Mais en 91, pour revenir au point en
question, ou etait l'homme de la circonstance, et y avait-il un homme
dirigeant? Avec sa methode et son caractere, La Fayette ne l'eut jamais
ete; il s'usait honorablement a maintenir l'ordre ou a moderer le
desordre, a servir la cour malgre elle, a, retenir Louis XVI dans la
lettre de la Constitution; il s'est toujours livre, nous dit-il lui-meme
(et, a dater de cette epoque, je crois le mot exact), _aux moindres
esperances_ d'obtenir, dans la recherche et la pratique de la liberte,
le concours paisible des autorites existantes. Ainsi faisait-il alors
religieusement et sans grande perspective. Autour de lui c'etaient des
masses, des clubs, une Assemblee finissante; on retombait dans la force
des choses[81].
[Note 8
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