voix caverneuse: "Ducis, je vous aime!" M. de
Fontanes, temoin muet et modeste de la scene, en la racontant apres des
annees, croyait encore entendre l'exclamation solennelle.
Il ne vit Voltaire que de loin, couronne a la representation d'_Irene_;
mais il n'eut pas le temps de lui etre presente. Son frere aine
(Marcellin de Fontanes), mort, je l'ai dit, en 1772, a l'age de vingt
ans, et doue lui-meme de grandes dispositions poetiques, avait compose
une tragedie qu'il avait adressee a Voltaire, aussi bien qu'une epitre
dejeune homme, et il avait recu une de ces lettres datees de Ferney, qui
equivalaient alors a un brevet ou a une accolade.
Fontanes eut le temps de voir beaucoup d'Alembert: laissons-le
dire la-dessus: "Tout homme, ecrit-il au _Mercure_ a propos de
Beaumarchais[99], tout homme qui a fait du bruit dans le monde a deux
reputations: il faut consulter ceux qui ont vecu avec lui, pour savoir
quelle est la bonne et la veritable. Linguet, par exemple, representait
d'Alembert comme un homme diabolique, comme _le Vieux de la Montagne_.
J'avais eu le bonheur d'etre eleve a l'Oratoire par un des amis de ce
philosophe, et je l'ai beaucoup vu dans ma premiere jeunesse. Il etait
difficile d'avoir plus de bonte et d'elevation dans le caractere. Il
se fachait, a la verite, comme un enfant, mais il s'apaisait de meme.
Jamais chef de parti ne fut moins propre a son metier." Toutes ces
relations precoces, ces comparaisons multipliees et contradictoires
expliquent bien et preparent la moderation de Fontanes dans ses
jugements, sa science de la vie, son insouciance de l'opinion, et ne
rendent que plus remarquable le maintien de ses affections religieuses.
Il ecrivait ce mot sur d'Alembert, et il allait tout a l'heure appuyer
M. de Bonald.
[Note 99: Mercure, fructidor an VIII.]
L'_Almanach des Muses_ de 1778 nous donne les premieres nouvelles
litteraires du poete. On y lit de lui une piece composee a seize ans,
qui a pour titre _le Cri de mon Coeur_, et un fragment d'un _Poeme sur
la Nature et sur l'Homme_, qui sort deja des simples essais juveniles.
Ce _Cri de mon Coeur_ ne serait qu'une boutade adolescente sans
consequence, s'il ne nous representait assez bien toutes les impressions
accumulees de l'enfance douloureuse de Fontanes. La mort de son frere
aine, celle de son pere et de sa mere, qui l'ont frappe coup sur coup,
achevent d'egarer son ame. Il s'ecrie contre l'existence; il va presque
jusqu'a la maudire:
M
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