s, soixante ans, ont trompe l'univers.
Il n'existe en effet qu'une seule science:
C'est des mots discordants la bizarre alliance,
Des tropes entasses le chaos monstrueux.
L'ignoble barbarisme, aujourd'hui fastueux,
Est le trait de la force et le fruit de l'etude,
Et sait donner au vers une noble _attitude_.
Veut-on que notre metre, en sa marche arrete,
De la mesure antique ait la variete?
Substituez alors (la ressource est aisee)
Au rhythme poetique une prose brisee.
Enfin sachez frapper le dernier coup de l'art:
Que de tous ses rayons Phebus vous illumine;
Et, faute d'egaler la langue de Racine,
Osez ressusciter le jargon de Ronsard.
Rien n'est donc nouveau, ni l'audace, ni le cri d'alarme, ni l'injure
dans un sens et dans l'autre; ne nous attachons qu'au talent, ont beau
se renouveler, se vouloir rajeunir, et, meme en n'y reussissant pas
toujours, faire palir du moins la couleur des styles precedents; les
idees, sinon la pratique, en matiere de gout et d'art severe, ont beau
s'elever, s'affermir, s'agrandir, je le crois, par une comparaison plus
studieuse et plus etendue: il est des impressions heureuses, faciles,
touchantes, qui, dans de courtes productions, tirent leur principal
interet du coeur, et qui durent sous un crayon un peu efface. La lecture
de _la Chartreuse_, si l'on a l'imagination sensible, et si l'on n'a pas
l'esprit barre par un systeme, cette lecture melodieuse et plaintive,
faite a certaine heure, a demi-voix, produira toujours son effet,
emouvra encore et finira par meler vos pleurs a ceux du poete:
Cloitre sombre, ou l'amour est proscrit par la Ciel,
Ou l'instinct le plus cher est le plus criminel,
Deja, deja ton deuil plait moins a ma pensee!
L'imagination, vers les murs elancee,
Chercha leur saint repos, leur long recueillement;
Mais mon ame a besoin d'un plus doux, sentiment.
Ces devoirs rigoureux font trembler ma faiblesse.
Toutefois, quand le temps, qui detrompe sans cesse,
Pour moi des passions detruira les erreurs,
Et leurs plaisirs trop courts souvent meles de pleurs;
Quand mon coeur nourrira quelque peine secrete;
Dans ces moments plus doux, et si chers au poete,
Ou, fatigue du monde, il veut, libre du moins,
Et jouir de lui-meme et rever sans temoins;
Alors je reviendrai, Solitude tranquille,
Oublier dans ton sein les ennuis de la ville,
Et retrouver encor, sous ces lambris deserts,
Les memes sentiments retraces
|