ne
peut dire de lui qu'une fois la Revolution engagee, il ait domine les
evenements, s'il les a trop suivis ou (ce qui revient au meme) precedes
dans le sens de tout a l'heure, il en a ete l'instrument et le
surveillant le plus actif, le plus integre, le plus desinteresse; quand
ils ont voulu aller trop loin, a un certain jour, il leur a dit _non_,
et les a laisses passer sans lui, au risque d'en etre ecrase le premier;
en un mot, il a fait ses preuves de vertu morale. Mais a ce debut, il
y eut de longs moments d'acheminement, d'embarras, de composition
inevitable. L'indulgence qu'on a en revolution pour les moyens est
singuliere, tant que vos opinions ne sont pas depassees.
[Note 79: Au chant XXI de _l'Iliade_, Achille est represente
s'enfuyant a toutes jambes devant le Scamandre furieux et deborde:
"Comme lorsqu'un irrigateur, remontant sur la colline a une source aux
eaux noires, en veut amener le courant a travers les jeunes plants et
les enclos: tenant la houe en main, il aplanit l'obstacle et ouvre la
rigole ou l'eau court a l'instant: tous les cailloux s'entre-choquent
et s'agitent, le flot precipite resonne sur la pente, et _devance
celui meme qui le veut conduire_." Tels les chefs du peuple dans les
revolutions: qu'on aille au fond de cette comparaison gracieuse, on a la
leur image et comme leur devise.]
Au 22 juillet 89, La Fayette fit tout ce qui etait humainement possible
pour sauver Foulon et Berthier; le lendemain, il deposait a l'hotel de
ville son epee de commandant, fonde sur ce que les executions sanglantes
et illegales de la veille l'avaient trop convaincu _qu'il n'etait pas
l'objet d'une confiance universelle_; il ne consentit a la reprendre que
sur les instances les plus flatteuses et apres des temoignages unanimes.
Mais son impression sur ces attentats et quelques autres pareils qui,
ainsi qu'il le dit, ont trompe son zele et profondement afflige son
coeur, son impression d'honnete homme n'atteignit pas alors sa vue
politique, et ne detruisit pas du coup le charme qui ne cessa que plus
tard, lorsque le 10 aout dechira le rideau. Des prisons de Magdebourg,
en juin 93, La Fayette ecrivait a la princesse d'Henin: "Le nom de mon
malheureux ami La Rochefoucauld se presente toujours a moi... Ah! voila
le crime qui a profondement ulcere mon coeur! La cause du peuple ne
m'est pas moins sacree; je donnerais mon sang goutte a goutte pour elle;
je me reprocherais chaque instant de ma vie qui ne serait pas
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