ssions,
rebattues pour les contemporains, redeviendraient plus fastidieuses a
la distance ou nous sommes places; c'est a chaque lecteur, dans une
reflexion impartiale, a se former son impression particuliere. Les
reproches dont sa conduite a ete l'objet portent en double sens. Les uns
l'ont accuse de ne s'etre pas suffisamment oppose aux exces populaires
dans la nuit du 6 octobre, le 22 juillet precedent lors du massacre de
Foulon, et en d'autres circonstances; les autres l'ont, au contraire,
accuse, lui et Bailly, de sa resistance aux mouvements populaires
dans les derniers temps de l'Assemblee constituante, notamment de la
proclamation et de l'execution de la loi martiale au Champ-de-Mars,
le 17 juillet 91. Le fait est qu'apres la grande insurrection du 14
juillet, qui fondait l'Assemblee nationale, La Fayette n'en voulut plus
d'autres; mais qu'avant d'en venir a les combattre, a les reprimer, il
se preta quelquefois, pour les mitiger, a les conduire. Il y a bien
des annees, qu'enfant j'entendais raconter a l'un des gardes nationaux
presents aux journees des 5 et 6 octobre, le detail que voici, et qui
est a la fois une particularite et une figure. Le tocsin avait sonne
des le matin du 5 octobre, Paris etait en insurrection, les faubourgs
debouchaient en colonnes pressees, l'on criait: _A Versailles! a
Versailles!_ La Fayette, qui devait prendre la tete de la marche,
ne partait pas. Durant la matinee entiere et jusque tres-avant dans
l'apres-midi, sous un pretexte ou sous un autre, il avait tenu bon,
faisant la sourde oreille aux menaces comme aux exhortations. Bref,
apres des heures de fluctuation houleuse, tous les delais expires et la
foule ne se contenant plus, La Fayette a cheval, au quai de la Greve,
en tete de ses bataillons, ne bougeait encore, quand un jeune homme,
sortant du rang et portant la main a la bride de son cheval, lui dit:
"Mon general, jusqu'ici vous nous avez commandes; mais maintenant
c'est a nous de vous conduire...;" et l'ordre: _En avant!_ jusqu'alors
vainement attendu, s'echappa.
Le temoin veridique, de qui le mot m'est venu, n'en avait entendu que la
lettre, et n'en saisissait ni le poetique ni le figuratif. Depuis,
j'ai souvent repasse en esprit, comme le revers et l'ombre de bien des
ovations, cette humble image du commandant populaire[79]. Et celui-ci
etait le plus probe, le plus inflexible, passe une certaine ligne; il ne
cedait ici qu'en vue surtout de maintenir et de moderer. Si l'on
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