r de Balbine a Cara, de Cara a
Raphaelle, et toujours ainsi.
Il se sentait ne pour mieux que cela cependant.
Ce qui l'avait le plus lourdement accable dans ce voyage, c'avait ete
son isolement: plusieurs fois il avait ete en danger, et alors il avait
eu la pensee desesperante qu'a ce moment meme personne ne prenait
interet a lui et qu'il pouvait mourir sans qu'on le pleurat. On dirait:
"Si jeune, le pauvre garcon!" et, ce serait tout. Plusieurs fois aussi
il avait eu des heures, des journees de plaisir, des elans d'admiration
et d'enthousiasme, et alors il n'avait jamais pu reporter sa joie sur
personne et se dire: "Si elle etait la;" ou bien: "Je lui conterai
cela." C'etait seul qu'il avait souffert; c'etait seul qu'il avait joui.
Pourquoi ne se marierait-il pas?
De famille il n'aurait jamais que celle qu'il se creerait.
Il se sentait dans le coeur des tresors de tendresse a rendre heureuse,
sans une heure de lassitude ou d'ennui, la femme qu'il aimerait et qui
l'aimerait, l'honnete femme qui serait la mere de ses enfants.
Quand on avait l'honneur de porter un nom comme le sien, c'etait un
devoir de ne pas le laisser s'eteindre.
Et puis n'etait-ce pas le seul moyen d'empecher sinon sa fortune, au
moins son titre et son nom de tomber aux mains de ceux qui se disaient
sa famille,--ces Condrieu-Revel execres,--qui n'etaient que ses ennemis
apres avoir ete ses persecuteurs?
C'etait devant sa fenetre ouverte, assis dans un fauteuil et regardant
machinalement le jeu de la lumiere dans les branches des arbres, qu'il
reflechissait ainsi. Tout a coup la brise lui apporta le prelude d'une
valse que jouait une musique militaire.
Il ecouta un moment, puis vivement il se leva: l'image de la jeune fille
blonde qu'il avait vue la veille et a laquelle il n'avait plus pense
venait de se dresser devant lui, evoquee par cette musique, et il la
retrouvait aussi eblouissante de beaute et de charme qu'elle lui etait
apparue la veille.
VIII
Dans le vestibule de l'hotel, Roger se trouva face a face avec Savine,
qui arrivait.
--Vous veniez chez moi? dit Savine en tendant la main au duc.
C'etait en effet une de ses pretentions de s'imaginer qu'on devait
toujours aller chez lui et que lui n'avait a aller chez ses amis que
quand il avait besoin d'eux; c'etait pour cela qu'ayant appris la veille
que le duc de Naurouse etait venu pour le voir, il n'avait pas bouge de
toute la matinee, attendant une seconde visite d'
|