de savoir, l'ambition de vaincre ne
permettaient pas qu'Abelard se contentat d'une autorite sans combat;
c'etait un genie militant. Le nouvel eleve d'Aristote avait aussi la
passion des conquetes. Roi dans la dialectique, il voulut dominer encore
dans la theologie. Il resolut d'en faire desormais sa principale etude.
Le maitre qui tenait le sceptre de cette science etait Anselme de Laon.
Ne dans la premiere moitie du XIe siecle, apres avoir etudie sous
Anselme de Cantorbery, il avait commence a enseigner lui-meme a Paris,
et Guillaume de Champeaux etait un de ses disciples. Depuis plus de
vingt ans, retire a Laon, sa patrie, scolastique ou chancelier de cette
eglise, doyen du chapitre metropolitain, il enseignait la theologie avec
beaucoup d'eclat, et le clerge, meme l'episcopat se peuplaient de ses
eleves. Sa maniere d'enseigner etait simple. C'etait un commentaire
suivi et presque interlineaire du texte de l'Ecriture. Mais il s'etait
acquis tant de reputation que ses lecons attiraient a Laon des auditeurs
de toutes les parties de l'Europe, et qu'il est compte parmi les
auteurs de la celebrite de l'ecole des Gaules[43]. Cette autorite, deja
ancienne, il la devait au temps plus encore qu'au merite; du moins
Abelard le depeint-il comme un vieillard orthodoxe, instruit, disert,
mais dont l'esprit manquait de fermete et de decision. Qui l'abordait
incertain sur un point douteux le quittait plus incertain encore. Il
charmait ses auditeurs par une etonnante facilite d'elocution, mais
le fond des idees etait peu de chose, et il ne savait ni resister ni
satisfaire a une question. "De loin," dit Abelard, "c'etait un bel arbre
charge de feuilles; de pres, il etait sans fruits, ou ne portait que la
figue aride de l'arbre que le Christ a maudit. Quand il allumait son
feu, il faisait de la fumee, mais point de lumiere[44]."
[Note 43: _Hist. litt. de la Fr._, t. X, p. 170.]
[Note 44: _Ab. Op._, ep. I, p. 7.]
Cependant le jeune docteur de Paris vint l'entendre, il se mela a ses
disciples: on devine qu'il ne fut pas captive longtemps. Il ne pouvait
_rester longtemps oisif a son ombre_[45], ni suivre apres s'etre
habitue a conduire. D'abord il se contenta de negliger les lecons. Il
y paraissait de loin en loin. Les plus eminents des autres eleves,
satisfaits et fiers de leur maitre, virent avec deplaisir cette
dedaigneuse indifference; il s'en plaignirent assez haut, et
naturellement ils aigrirent l'esprit d'Anselme. Il arriva q
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