u'un jour,
apres avoir entre eux confere sur quelques points de doctrine, les
ecoliers se mirent a se provoquer par jeu sur les matieres theologiques.
Un d'eux, comme pour eprouver Abelard, lui demanda ce qu'il pensait de
l'enseignement sacre, lui qui n'avait encore etudie que les sciences
naturelles[46]. Il repondit que rien n'etait plus salutaire qu'une
science ou l'on apprenait a sauver son ame; mais qu'il ne pouvait assez
admirer qu'a des hommes lettres il ne suffit pas, pour comprendre les
saints, du texte de leurs ecrits et d'une glose, et qu'on ne devrait pas
avoir besoin d'un maitre. Cette reponse en amena de contraires, et la
plupart des assistants, raillant Abelard, lui demanderent s'il pourrait
faire ce qu'il conseillait, le defierent de l'entreprendre. Il repliqua
que si l'on desirait le mettre a l'epreuve, il etait tout pret. "Soit,
nous le voulons bien," s'ecrierent-ils tous, et d'un ton plus moqueur
encore. "Que l'on me cherche donc," reprit-il, "et qu'on me donne
quelqu'un pour exposer un point peu connu de l'Ecriture." Tous
s'accorderent pour choisir la tres-obscure prophetie d'Ezechiel, qui
passait pour un des ecrivains sacres les plus difficiles. On eut bientot
pris un _expositeur_ qui devait, selon l'usage, lire le texte et faire
connaitre l'etat de la question, et Abelard les invita pour le lendemain
a sa lecon. Aussitot quelques-uns s'empressant, avec un interet
veritable ou affecte, de lui donner des conseils qu'il ne demandait
pas, l'engagerent a ne se point tant hater; et lui remontrerent que
l'entreprise etait grande, qu'elle exigeait des recherches et quelque
precaution, et qu'il devait songer a son inexperience. "Ce n'est point
ma coutume," repondit-il avec vivacite, "de suivre l'usage, mais d'obeir
a mon esprit[47]." Et il ajouta qu'il romprait tout, si l'on ne se
conformait a sa volonte, en ne differant point de se rendre a ses
lecons. A la premiere, il eut peu d'auditeurs; on trouvait ridicule que,
denue presque entierement de lecture sacree, il se hatat d'aborder la
science. Cependant tous ceux qui l'entendirent furent si enchantes
qu'ils lui donnerent de grands eloges, et le presserent de composer
une glose conforme a sa lecon. Au recit de cette premiere epreuve, on
accourut a l'envi pour assister aux suivantes, et tous se montraient
empresses a transcrire les gloses qu'a la priere generale il s'etait mis
a rediger.
[Note 45: "Non multis diebus in umbra ejus otiosus jacul." (_Id._,
p.
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