et meme, au dire de ses contemporains, il ne s'interdisait
pas les plaisanteries et le badinage[39]. Autant que le lui permettait
la rigueur de son esprit passionnement raisonneur, il temperait les
apretes de la logique par quelques souvenirs des poetes qu'il aimait.
Virgile et Horace, Ovide et Lucian, toujours presents a sa memoire, lui
fournissaient des citations ou des allusions souvent heureuses; eux
aussi, il les invoquait comme une autorite; de ce qu'ils avaient chante,
il dit quelquefois: _Il est ecrit. (_Scribitur, scriptum est._)
[Note 39: "Plurimum in inventionum subtilitate, non solum ad
philosophiam necessariarum, sed et pro commovendis adjocos animis
hominum utilium valens." (Ott. Fris. _de Gest. Frid._, l. I, c.
XLVII.--_Rec. des Hist._, t. XIII, p. 654)]
Mais son vrai maitre, c'etait toujours celui qui avait instruit
Alexandre, et qui semblait devoir, comme par continuation, etre le
precepteur du conquerant de l'ecole. L'esprit percant d'Abelard
donnait, dans les cas douteux, raison au createur de la science sur ses
continuateurs, et par lui l'autorite d'Aristote s'elevait peu a peu a
l'infaillibilite. Et cependant il n'en faisait encore que le premier des
peripateticiens ou le prince de la dialectique. C'etait Platon qu'il
appelait le plus grand des philosophes[40]. Il s'incline devant lui
presque sans le connaitre, et toutes les fois qu'il peut trouver dans la
tradition ou dans quelques citations eparses de ses ouvrages une idee
qu'il comprenne assez pour l'appliquer a ce qu'il etudie, il lui
fait place avec respect, il essaie d'y subordonner les idees
peripateticiennes et voudrait, s'il le pouvait, platoniser la
dialectique d'Aristote.
[Note 40: _Ab. Op., Introd. ad theol._, p. 1012, 1026, 1032, 1070 et
1134.--Ouvr. ined. _Dialect._, p. 204 et 205. Cette autorite si grande
de Platon, que l'on connaissait si peu, venait des Peres de l'Eglise et
surtout de saint Augustin.]
Mais bien qu'il ait grand soin, en toute question, de rechercher ce que
disait l'autorite avant de se demander ce que dicte la raison, il ne
craint pas de suivre parfois l'inspiration de sa propre intelligence, et
apres avoir emprunte la science, il lui prete du sien pour l'enrichir.
Il ne s'interdit pas d'etre lui-meme, et il a reussi a passer pour
inventeur; on lui attribue un systeme et une secte. En effet, il s'est
flatte d'avoir produit une solution nouvelle de cette grande et capitale
question, dont il fait lui-meme le n
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